Parler de soi, parler le monde
Dans cet imposant livre-somme, l’auteure rassemble la totalité des proses. Et ce, “au nom du père” sans doute, mais surtout en son nom propre. S’exprime toute la puissance et la variété de son écriture.
C’est un fleuve de vie mais aussi une mer(e) où, se remet à flot ce que de l’existence nous avons soustrait. Mais plus encore apparaît son énigme même si “la source garderait son secret”. Ce dernier est moins de polichinelle que d’une poly-chineuse.
Ces proses sont souvent du passé, du lointain, de l’échu mais pas que. Avec autant de lyrisme que d’humour, au suranné l’auteure préfère l’exigence d’une écriture “irrégulière” en divers mouvements de l’invention qui favorise le change sur le maintien.
Ce pavé dans la mare du temps devient celui d’écrits divers et de quatre saisons. Ils sont parfois “dessinés” autour de profils perdus, et apparaissent tels des casse-ambiance qui jouent des tours pour rire. Ce sont aussi des “écrituries” de pensées qui viennent des dehors et des dedans.
Des macchabées s’y traient au besoin et nous parlent in petto. Ils sont des corps morts de rire afin de leur rendre hommage de la manière la plus dégingandée qui soit. Tout se déguste au fil des jours et selon l’état psychique de lectrices et lecteurs . Elles et ils trouvent là de quoi se satisfaire en leurs divers états et en référence à ceux d’une telle amazone déterminée.
Pour spécifier la condition d’être, elle s’inquiète humainement de la déréalisation du monde dans la coagulation de “re-présentations”. Parfois, elle accepte de parler sa vie mais pas forcément dans les formes communément admises du Français Médiatique Primaire.
Comment dès lors ne pas être touché par ce qu’ici le verbe crée en sensations et réflexions loin des sens déjà stabilisés, des images déjà liées ? Celles-ci ne créent que de vagues fresques chromos.
Jacqueline Fischer les refuse car elles font écran entre l’auteure et ses lectrices et lecteurs, entre le monde et nous. Dès lors, dans cette inversion des données admises, existe un soi-même qui se fait nôtre.
jean-paul gavard-perret
Jacqueline Fischer, Histoires sans rimes ni oraisons — proses diverses, Editions Jacquelines Fischer, Arches, 2023, 934 p.