La poésie de Sara Oudin est la déclinaison d’un voyage existentiel où le rêve et la réalité ont fort à faire pour s’accorder. Certes, chaque voyage a ses limites et sa fin. C’est pourquoi l’auteur commence ici à les découper en tronçons. Il sera intéressant aux futurs chercheurs de définir leurs sens.
De telles mélodies érotiques et ésotériques luttent contre toute forme d’effacement. Si bien qu’à travers Sara, c’est Eve qui revient en scènes furtives et hallucinatoires. Elles surmontent le temps qui passe, l’angoisse, le négatif.
Existent là une authenticité particulière et une sorte de pulvérisation de l’intime. Elles viennent mettre à mal les propensions de l’ego dont accouchent bassement trop de poètes. Dans leur mise à bas, ils se nient paradoxalement en expulsant toute possibilité de transfuge et de transe-fusion.
A l’inverse, Sara Oudin cultive une familiarité contagieuse mais avec la distance qu’il faut.
Entretien :
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Mon chat. La sensation de son souffle impatient sur mes paupières.
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Ils nourrissent mes rêves d’adulte.
A quoi avez-vous renoncé ?
Peut-être aux voyages lointains. Mais ce n’est pas vraiment de l’ordre du renoncement, plutôt une transfiguration à travers l’écriture.
D’où venez-vous ?
D’ailleurs… physiquement et mentalement. J’appartiens à une famille nomade dont les racines ne sont pas ancrées dans une terre mais dans une culture : la culture juive sépharade, et plus largement la culture orientale.
Qu’avez-vous reçu en “héritage” ?
Mon nom, à mes yeux un trésor. Et une identité que j’interroge et remets en question en permanence.
Un petit plaisir — quotidien ou non ?
Le parfum des fleurs d’amandier, les amandes, la pâte d’amande, amertume et douceur proprement aphrodisiaque.
Comment définiriez-vous votre poétique ?
Cela ne m’appartient pas. Sentimentale, lyrique, spirituelle, mystique, ésotérique ? J’aime l’idée qu’elle soit accessible à plusieurs niveaux, comme un millefeuille, et que chaque lecteur puisse y projeter ses attentes.
Quel poids représente le passé collectif dans votre oeuvre ?
Mon écriture est bien sûr nourrie de toutes mes lectures antérieures (je ne lis presque plus aujourd’hui, du moins je ne puis lire et écrire à la fois, « brûler la chandelle par les deux bouts » comme l’écrit Katherine Mansfield dans son Journal. Je me sens très proche de toute la littérature féminine anglo-saxonne d’une part, et de la poésie orientale d’autre part. Ca, c’est pour la partie consciente. Mais bien évidemment, le poids de l’histoire collective, de l’histoire juive en particulier, avec ses exils successifs, doit donner une certaine tonalité à ma poésie.
Quelle est la première image qui vous interpella ?
Mon tout premier poème , écrit à 9 ans : « La-haut, dans les haubans, un Anamite se balance »
Et votre première lecture ?
Je ne me souviens pas de ma première lecture. Il n’y avait pas de livres chez mes parents mais j’ai reçu beaucoup de prix de français à l’école, ça existait encore à l’époque. Ca allait des Mémoires d’Un Ane de la comtesse de Ségur à La Porte étroite de Gide. Des livres que j’ai mis de côté pour les lire beaucoup plus tard. En revanche, je traînais à la bibliothèque dans les rayons « littérature anglo-saxonne » et j’ai lu tous les classiques, y compris Henri Miller, bien avant l’âge requis.
Quelles musiques écoutez-vous ?
Toutes les musiques, absolument toutes. Mais pas tout dans ces musiques. J’ai une oreille très « élective ».
Quel est le livre que vous aimez relire ?
Mes trois livres de chevet : “L’Odyssée”, “Alice au pays des Merveilles” et “Vie Secrète” de Pascal Quignard.
Quel film vous fait pleurer ?
“Imitation of Life”, de Douglas Sirk. Un mélo flamboyant que j’adore, bien qu’il évoque pour moi des souvenirs très douloureux.
Aux antipodes, “La Strada” de Fellini, mon premier film vu avec mon père à 5 ans, que je déteste, même s’il évoque un souvenir heureux.
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
J’évite les miroirs. Et toutes les images de moi.
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
A ma mère.
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
L’Egypte.
Quels sont les artistes et écrivains dont vous vous sentez le plus proche ?
Pour les écrivains, j’ai répondu plus haut. Il faudrait ajouter Kafka, Kundera, Nabokov…. J’ai une prédilection pour les peintres du fauvisme et la peinture expressionniste allemande. En musique, je me sens proche des accents de la musique d’Europe centrale (j’adore Janacek !) autant que des musiques orientales et d’Asie mineure. Mais pour la poésie, je n’ai pas à proprement parler de « modèle ».
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Un bouquet de pivoines rouges.
Que défendez-vous ?
La nuance. Qui est la seule vision lucide de ce monde de dualité dans lequel nous vivons.
Que vous inspire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
J’en retiens les premiers mots : l’Amour c’est donner quelque chose. Et je préfère, de très loin, la citation de Nietzsche : « Ce qu’on fait par amour s’accomplit toujours, par-delà le bien et le mal. »
Pour la citation de Lacan comme pour celle de Nietzsche, ce ne sont à mes yeux que des mantras de protection. L’amour est définitivement incompréhensible.
Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la question ?“
La réponse ne peut pas toujours être « oui ». Spinoza dit que « tout refus de quelque chose n’est que l’acceptation d’une autre chose »
Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
Quelle est la fonction de l’oubli dans votre écriture ?
Entretien et présentation réalisés par jean-paul gavard-perret, pour lelitteraire.com, le 16 avril 2023.
Amour et poésie (Sentimentale, lyrique, spirituelle, ) inévitables . Nuance et âme orientale nécessaires . Sara Oudin , exotique et mystique , offre un savoureux festin de l’esprit malgré la question oubliée de JPGP .