Francisco Ruizge, Dusha — t.01 : “La Fille de l’hiver”

Quand le pou­voir veut s’emparer des pou­voirs de l’esprit

Le récit débute en Rus­sie, en février 1921 quand, sur un front de guerre, un homme man­daté par le Parti, va cher­cher dans un orphe­li­nat, une fillette aux yeux blancs appe­lée Mar­tina Bal­ta­kis. Arrê­tée par une troupe qui s’apprête à livrer com­bat, Mar­tina regarde fixe­ment Mijail, un jeune com­bat­tant.
On retrouve, en 1937, Mijail, devenu boxeur, se pré­pa­rant pour un cin­quième titre de cham­pion d’URSS. Il a perdu son épouse il y a un an et s’inquiète pour Likha, sa fillette qui n’accepte pas la mort de sa mère.
Dans le même temps, au Gou­lag Vor­kouta, le « tra­vailleur » 12/471 est convo­qué au bureau du Com­man­dant. Il s’agit de Dimi­tri Lou­gine, celui-là même qui en octobre 1920 avait été auto­risé à mener une étude sur les capa­ci­tés extra­sen­so­rielles d’êtres humains, des psy­chos sur­doués qu’il appe­lait Dusha (Âme). La plus douée était Mar­tina. Les expé­riences se suc­cèdent avec plus ou moins de réus­site jusqu’au moment où Lou­gine, qui perd son pro­tec­teur, est déclaré ennemi du peuple pour sabo­tage intel­lec­tuel et envoyé au Gou­lag. Les sur­doués sont mas­sa­crés.
Or, face à la menace que repré­sente l’Allemagne nazie…

Les capa­ci­tés du cer­veau de cer­tains indi­vi­dus sont spec­ta­cu­laires et leur per­mettent des approches inter­dites au com­mun des mor­tels. Com­prendre ce qui les dif­fé­ren­tie, tant dans la confi­gu­ra­tion de l’organe que dans l’usage de ces pos­si­bi­li­tés, pour­rait aider à faire avan­cer l’Humanité vers plus d’intelligence sauf à vou­loir pri­vi­lé­gier des objec­tifs délic­tueux.
Mêlant His­toire et science-fiction, Fran­cisco Ruizge pro­pose l’exploration d’expériences tout à fait plau­sibles. Il retient l’URSS en fai­sant débu­ter son récit en 1921 alors que la guerre civile oppose les Blancs, tenants de l’Empereur et les Rouges sou­tiens du régime com­mu­niste. Ces der­niers l’ont emporté, met­tant sur un trône un des pires cri­mi­nels que la Terre ait porté. Si des études ont été ini­tiées, le chan­ge­ment de poli­tique, le départ de cer­tains déci­deurs remettent tout en cause. Ruizge  évoque les purges sta­li­niennes, la pesan­teur du Goulag…

L’auteur décrit les expé­riences menées sur ces êtres sur­doués, réunis dans une dache, jusqu’au moment où tout bas­cule. Autour de ce pro­fes­seur, le scé­na­riste met en scène des faits authen­tiques et quelques per­son­nages his­to­riques.
Fran­cisco Ruizge met son récit en images avec un des­sin réa­liste, mêlant traits légers et appuyés avec de larges aplats noir. Il rend bien l’accablement qui habite des pro­ta­go­nistes du drame, la souf­france des sujets d’expérience, la suf­fi­sance de gra­dés dis­po­sant d’une once de pou­voir. Il pri­vi­lé­gie, dans ses nom­breuses vignettes, des per­son­nages en por­trait évo­luant dans des décors dépouillés, fai­sant res­sen­tir, ainsi, une atmo­sphère sombre et sinistre voire angoissante.

Cette sen­sa­tion est ren­for­cée par la mise en cou­leurs de Asier Mar­ti­nez Lopez qui use en majo­rité de teintes froides.
Avec ce pre­mier volet du dip­tyque, l’auteur pro­pose un récit riche en péri­pé­ties, mul­ti­pliant des actions docu­men­tées de façon solide, récit servi par un gra­phisme en totale concor­dance avec l’histoire.

serge per­raud

Fran­cisco Ruizge (scé­na­rio et des­sin), tra­duit de l’espagnol par Eric Met­tout & Asier Mar­ti­nez Lopez (cou­leur), Dusha — t.01 : La Fille de l’hiver, Glé­nat, coll. “24x32, avril 2023, 48 p. — 14,50 €.

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