Dylan Thomas, Un Noël d’enfant au Pays de Galles

Nous avons eu maintes fois l’occasion d’apprécier l’originalité et la diver­sité des publi­ca­tions parues sous le label Denoël Gra­phic — entre autres un magni­fique album de Chan­tal Letel­lier, Les Dam­nés de Nan­terre, un mémo­rable (Lit­tle P. in ) Echoes­land, de F. Olis­lae­ger et P. Fon­de­vila, ou encore la réédi­tion des aven­tures de Popeye… Comme pour bien ins­tal­ler dans la mémoire des lec­teurs cette liberté de concept échap­pant à tout éti­que­tage d’esprit ou de genre, voilà que sortent dans cette col­lec­tion, quasi simul­ta­né­ment, trois ouvrages que séparent une sorte de grand écart édi­to­rial, tant ils dif­fèrent par leur aspect et leur contenu : un impo­sant album sou­ve­nir mar­quant le tren­tième anni­ver­saire de la revue Métal Hur­lant, qui naquit en 1975 ; Les Fils d’octobre, un album signé Niko­laï Maslov, aux sur­pre­nants gra­phismes en crayon­nés doux, tout en blanc et gris — un recueil d’histoires courtes qui sont à la BD ce que la nou­velle est à la lit­té­ra­ture en prose ; et enfin un petit livre à la déli­ca­tesse nivéale, où le sou­ve­nir d’enfance le dis­pute aux rêve­ries enfan­tines et au sur­réel que seul peut déve­lop­per un poète mature ouvert aux fran­chis­se­ments de mondes : Un Noël d’enfance au Pays de Galles, de Dylan Thomas.

La cou­ver­ture mate, blanc crème avec de légères mou­che­tures argent, évoque le silence d’une cam­pagne ennei­gée, où la lumière bla­farde d’un jour de décembre allu­me­rait quelques éclats fugi­tifs aux arêtes des cris­taux de neige. Les doubles gardes gris-bleu pâle, mou­che­tées de blanc, elles aussi disent la neige et le ciel, lorsque celui-ci se plombe avant de cre­ver en pul­vé­ru­lences gla­cées et blanches. Quant aux teintes des des­sins, elles sont infi­ni­ment douces, d’une sur­dité pareille à celle dont la neige enve­loppe ce qu’elle voile dès ses pre­miers flo­cons tombés.

Un Noël d’enfance au Pays de Galles est, dit-on, un texte de Noël mythique qui a rang de clas­sique chez les Anglo-saxons au même titre que Christ­mas Carol, de Charles Dickens. Mais voilà, Dylan Tho­mas est un poète et non des moins consu­més : comme dévoré par une ardente com­bus­tion interne, il brûle et se brûle, tant par ses triomphes que par les scan­dales qu’il lève autour de lui. Un poète qui, de plus, traîne à ses pages une répu­ta­tion d’auteur intra­dui­sible.
Il fau­drait, pour appré­cier plei­ne­ment le tra­vail de la tra­duc­trice, lire le poème ori­gi­nal en regard du texte fran­çais — lequel est de toute beauté… L’écriture ici trans­po­sée a les sim­pli­ci­tés du lan­gage enfan­tin, le natu­rel can­dide des fan­tas­ma­go­ries d’enfant, la ful­gu­rance des méta­phores poé­tiques qui hantent les poé­sies les plus troubles…
Déjà la ville est mari­time : le voyage est proche et dans un décor où la mer si sou­vent monte se confondre avec le ciel com­ment ne pas être invité à rêver et à fran­chir le temps et les mondes d’un seul mot d’un seul ?
Un Noël res­sem­blait tant à l’autre, ces années-là du côté de la ville mari­time…
Tous les Noëls roulent vers la mer bifide, comme une lune froide déva­lant tête la pre­mière le ciel qu’était notre rue…

Le texte, sage­ment enca­dré d’un filet noir, semble tenu à car­reaux comme une image qu’on aurait col­lée dans un album tan­dis que les illus­tra­tions au pas­tel couvrent la tota­lité des pages — voire courent sur une double page et l’on regrette alors la cas­sure due à la reliure… mais les images ne s’en tiennent pas là et, sitôt évo­qués les cadeaux de Noël, de minus­cules vignettes vont s’immiscer dans le texte — canard en cel­lu­loïd, bon­bons, sol­dat de plomb… — à la manière, peut-être, de ces images-figures de style qui sur­gissent, impromp­tues, çà et là dans le texte :
Des hommes et des femmes, patau­geant ou pati­nant dans la neige au retour de la cha­pelle, nez de bis­trot et joues de grand vent, tous albinos (…)

Le livre pour­rait être “pour enfants”. Mais rien n’est moins sûr… Cela com­mence par une confu­sion et de la neige tom­bée pen­dant plu­sieurs jours, mêlée à des voix bruis­sant dans le som­meil ; puis s’achève sur un endor­mis­se­ment. La boucle du rêve se referme avec le livre — ah, non… pas tout à fait ! avant de rabattre la der­nière page, regar­dez au verso de celle-ci : une petite hache est aban­don­née au milieu de la sur­face imma­cu­lée… comme un drôle d’indice chu du poème — un curieux objet qu’aurait maté­ria­lisé le miracle des mots, à l’insu du narrateur-rêveur. A-t-il 6 ans ? 12 ans ? Est-il adulte se sou­ve­nant ? enfant rêvant ? rêveur fan­tas­mant ? poète pris d’un ver­tige créa­teur ? Et puis pour­quoi vou­loir tran­cher ? Tout se mêle et rien n’est arrêté — c’est cela qui fait la beauté de ce texte.
Et si les pas­tels de Miles Hyman, qui s’épanouissent pleine page, toutes cou­leurs lâchées dans de grandes formes simples, d’un réa­lisme sub­til qu’on dirait abrégé par gom­mage des détails, semblent tirer l’ensemble vers l’enfance, il ne faut pas s’y fier : ces des­sins ont, même dans leurs teintes les plus claires — les roses, pâles ou mâti­nés de mauves des cieux cré­pus­cu­laires, les blancs bleu­tés de la neige… — un poids d’ombre qui fait régner la mélan­co­lie. Il ne s’y dit aucune joie — rien de cette effer­ves­cence lim­pide qui s’attache aux fêtes de Noël, sur­tout pour les enfants — mais quelque chose de long et de pro­fond qui, en géné­ral, n’étreint que les cœurs adultes. Ils sont, en cela, par­fai­te­ment en har­mo­nie avec le texte, faus­se­ment enfan­tin, et beau­coup plus grave qu’un amu­se­ment de gar­ne­ments guet­tant les chats du voi­si­nage pour les bom­bar­der de boules de neige…

Ce livre écrin — ou peut-être bijou, à moins qu’il ne soit les deux, jouant à la fois le rôle du conte­nant et du contenu, éga­le­ment pré­cieux l’un et l’autre… — inau­gure, nous dit le dos­sier de presse, le concept du “Denoël de Noël”. Une très belle idée — mais attendrez-vous Noël pour vous offrir Un Noël d’enfance au Pays de Galles ???

isa­belle roche

   
 

Dylan Tho­mas, Un Noël d’enfant au Pays de Galles — avec des illus­tra­tions de Miles Hyman (tra­duit de l’anglais par Lili Sztajn), Denoël coll. “Denoël Gra­phic”, novembre 2005, 48 p. cou­leurs for­mat 14,5 x 17,5 cm — 13,00 €.

 
     

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