I
Est-il donné aux mots la force de se perdre dans l’homme et dans les choses, pour les faire parler ? Ne sont-ils pas tout compte fait que des peuples d’ombres transmis d’une rive à l’autre du temps, de générations en générations qui les rapportent, et les transfèrent sans que le monde du secret ne s’y dessine aucunement sinon par des hasards qui prennent la forme d’un destin?
Les penseurs s’en croient les maîtres et il en est qui leur prêtent l’oreille avec ferveur ou pour un commerce douteux. Ce n’est là qu’une duperie d’usage. Car les mots qui sortent du souterrain se sont déjà pratiquement perdus dans l’espace. Il se peut néanmoins que nous les retrouvions seulement dans le sommeil que ni le temps ni la mort n’arrêtent. C’est alors qu’ils nous reviennent car à ce seul instant nous sommes de leurs tribus, en eux, comme les couleuvres dans les pierres. C’est uniquement dans l’océan qu’on les nomme serpents de mer.
II
Je n’ai rien à dire de plus secret, voire plus : je ne trouve rien à dire. Il n’y a plus personne derrière, en dessous, en dessus ou même en moi. Je suis donc libre de traverser l’océan à la nage mais pour faire quoi ? Mais il me faut le traverser, il n’y a pas moyen de rester sur la terre ferme, et il faut y aller, y entrer, et c’est possible, et c’est faisable, les capacités humaines se développent dans l’eau.
Je peux même dormir pendant la traversée. Il suffit de ne sas se précipiter et de garder un souffle régulier, et ainsi je n’ai besoin d’un bâton pour marcher, je flotte et dérive Je reste ainsi à bonne distance des choses et des personnes et disposé à trouver excellent ce que les autres trouvent exécrable. Mais je me tais et je nage.
III
En cahot de lettres aventurées pour la pensée (et pour l’esprit à déplacer), l’abstrait délivre des images, ajoute une couleur qui n’existe pas, apporte ses mots en cage comme vache au taureau. Les lire sous les feuillus permet de parcourir la forme mûrie des hêtres et des chênes, blousons clos en laisse d’âme.
La forêt bouge et sur le sol embourbé s’entend la note rouge des glands en suspension et à contre-lumière, pendus, troussés. Ils tremblent comme des chandelles et accompagnent les merles au bec clouté et à pointe d’encre sur un moindre appui puis se demande quel leurre est-il ? Allez, marche s’entendent-ilw répondre, ici il y a trop à sentir, trop à faire.
Deux biches créent les uniques parallèles : va sur le chemin où transhument les vaches à Bon Dieu de Bon Dieu et évite la poussière évanescente de qui peut plier. A ta faconde féconde préfère les sibylles effacées.
Aristote seul doit rester mais sa serviette de crin est à vendre, à moins de la jeter au feu quitte à crever de honte à qui manque le pompon tel le plus petit renard des vignes.
jean-paul gavard-perret
Photo Sébastien Anglade
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