Pauline Peyrade, L’Âge de détruire

Détruire, fait-elle

L’auteure a déve­loppé ce pre­mier roman de pas­sion (après long­temps avoir tourné autour) en lisant le jour­nal de Vir­gi­nia Woolf et en y décou­vrant les mots : “L’âge de com­prendre : l’âge de détruire… Et ainsi de suite.” et la jeune roman­cière d’ajouter : “J’ai posé le titre, pour voir s’il allait prendre, il n’a plus bougé. Et la phrase de Woolf m’a aidée à travailler”.

L’Âge de détruire devient le récit d’une grande vio­lence qui ne se limite pas uni­que­ment à la nar­ra­tion des coups por­tés à une enfant mais qui met en évi­dence la rela­tion inces­tueuse que la mère entre­tient avec elle.
Et ce, dans un cli­mat de ter­reur et de sou­mis­sion, la mère exer­çant une tyran­nie affec­tive et sexuelle sur la petite fille qu’elle sou­met régu­liè­re­ment à des attou­che­ments intimes nocturnes.

“J’entends ma mère qui entre dans la chambre. Ses pas sont lents. Elle marche sur la pointe des pieds. Elle effleure les bar­reaux de l’échelle, suit le bord de la cou­chette (…) Je me terre dans l’angle. Elle grimpe sur le rebord du lit, plie son coude autour de la bar­rière (…) Elle tâte la couette à ma recherche. Quand elle me trouve, ses doigts se referment, ils tentent d’identifier leur prise. Une masse de che­veux, une fesse, un talon” et le piège se referme.
Ce récit d’une enfance éprou­vante trans­forme donc l’image sté­réo­ty­pée de l’amour mater­nel en tyran­nie quo­ti­dienne, qui devient une manière d’anéantir toute pos­si­bi­lité pour l’enfant de se construire et dit, la petite de “m’effacer de l’histoire”.

En deux temps (“Age un” au moment des faits et “Age deux” vingt ans après), de fait, les vio­lences de la mère ne sont pas ce qui occupe la plus grande par­tie du livre. Ce qui est raconté, c’est le quo­ti­dien hanté, habité par cette vio­lence, ce “mal” comme l’appelle Elsa, qui dort et qui peut se réveiller à tout moment et avec lequel la mère elle-même se débat au “nom” de la propre mère de celle-ci. Ce qui imbrique tout dans un jeu de répé­ti­tions d’une géné­ra­tion à une autre.

La fic­tion prend éga­le­ment un sens par­ti­cu­lier car, face à la des­truc­tion engen­drée par la mère, arrive la vio­lence de la com­pré­hen­sion des actes délé­tères. Et l’écriture invente alors un temps de des­truc­tion posi­tive de la tyran­nie, de sa décons­truc­tion. La petite deve­nue femme doit donc détruire quelque chose en elle au moment où elle s’échappe, dans un mélange para­doxal de bon­heur et de dou­leur.
Ce mixage donne la pro­fon­deur au livre en l’extrayant de la psy­cho­lo­gie de salon par une nou­velle école du regard. Pas éton­nant donc que les Edi­tions de Minuit ait retenu un tel ouvrage.

Se montre en dehors d’un cas d’école la néces­sité de faire sur­gir le monstre au grand jour, de l’obliger à se mon­trer la où les vio­lences sont enfouies sous d’autres récits légen­dés et d’autres agres­sions dont la mère marâtre elle-même porte, comme signe, un dis­cret stigmate.

jean-paul gavard-perret

Pau­line Pey­rade, L’Âge de détruire, Edi­tions de Minuit, Paris, 2023, 160 p.- 16,00 €.

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