Le quatrième livre de Constance Debré, Offenses marque sans nul doute un tournant dans sa bibliographie non pas, malgré les apparences, par l’abandon du je de l’autofiction mais par l’affirmation d’un je élargi, celui de l’être humain dont la grandeur serait sa propre misère. Certains critiques, à propos de ce nouveau livre, parlent d’un roman.
Ne serait-ce pas plus juste de considérer une matière de moraliste, au sens de la littérature du dix-septième siècle ? La Bruyère tissait des portraits à des fins argumentatives.
Certes, il y a bien ici un personnage, une sorte de Raskolnikov moderne assassinant, non pas une vieille usurière russe mais une voisine de cité âgée, vivant à l’étage d’en dessous. Il a contracté une dette auprès d’un dealer et pense que le vol d’une carte bleue le sauvera. Un bâtard assassin. Point de hache mais un simple couteau de cuisine. Il n’aura jamais de nom ; les lieux de sa misérable existence ne sont jamais définis géographiquement ou que très vaguement aux alentours de Paris. Un des hommes de loi, plein de mépris dira de lui qu’il est insignifiant.
Le texte s’ouvre sur la description minutieuse de l’appartement, à la manière d’une scène de crime policière. Le cadavre de la victime à son tour sera évoqué dans sa réalité d’objet inerte. Il ne reste plus à l’auteur du crime qu’à parler, s’adresser aux lecteurs. Il est celui qui a enfreint le Commandement : Tu ne tueras point. A la fin du court texte, il sera jugé mais dans l’absence de lui-même et finalement l’indifférence profonde des représentants de la Société. Peu importe le détail du verdict.
Il y a quelque chose de fatal dans la trajectoire ce jeune homme. L’avocate pénaliste que fut Constance Debré connaît ceux et celles qui finissent très majoritairement derrière les barreaux : les pauvres, les membres de ces familles rongées par la drogue, l’alcool ou la violence sous toutes ses formes. Elle les a défendus. Ils sont « le cercle d’en dessous » et nous, les lecteurs, les bourgeois et les Autres, ceux du cercle d’en haut. Ils appartiennent au monde de ceux qui ramassent les poubelles, nettoient les bureaux, ou remplissent les rayons des hyper, remplissent les prisons et justifient les lois.
Certains restent à l’abri du Mal et certains l’endossent pour que chacun puisse expier ses péchés. Nous pourrons pardonner à ceux qui nous ont offensés, qui ont commis l’irréparable meurtre. Mais le jeune homme n’est pas un monstre. Il prenait soin de sa vieille voisine, faisait ses courses e,t en tout cas, se comportait mieux que ses propres enfants, avec elle. Il avait des rêves de vie rangée, au bord de la mer avec sa petite amie et son tout jeune enfant.
Constance Debré ne raconte pas : elle énonce d’une écriture simple, dépouillée (comme les gens dont elle parle). C’est ainsi que va le monde. Nous sommes aussi ce jeune type. Nous sommes tous des je face à nous-mêmes, chaque jour. Elle définit d’ailleurs son art poétique ainsi : « Je fais, moi qui écris ce livre, par ce livre et les autres, l’éloge des grandeurs négatives »
D’une certaine manière, Constance Debré, après avoir consacré ses premiers textes à sa détestable famille grande bourgeoise, trace cette fois-ci, les destinées impitoyables de ceux d’en bas parce que l’Humanité est ainsi faite. Face-à-face métaphysique, christique. Un sauveur crucifié qui rachète les péchés du monde.
Le prochain livre de Constance Debré pourrait-il franchir alors une nouvelle étape : celle de l’essai ?
marie du crest
Constance Debré, Offenses, Flammarion 2023, 122 p. — 17, 50 €.