“Interview d’un fantôme dans la machine”, comme le définit lui-même Calum Fraser, cet entretien permet de comprendre celui qui est peintre corps et âme. Pour lui, le “esse est percipi” de Berkeley reste essentiel, mais ce que t’un tel artiste laisse apparaître est le perdre voir de tout ce qui n’est pas essentiel à son ouvrage.
D’où l’intensité de l’œil qui s’ouvre même dans le noir pour saisir le corps. Et ce, dans une tension capable de briser un cristal. Le peintre fait venir le corps mais sourdement le prépare de tout son savoir qu’il oublie au moment de peindre. Le portrait alors se met à “battre”, à jaillir entre flux et ressac, écueil et anémone intime dans des vagues répétées, mais jamais identiques.
Au cœur de l’immobilité, le corps “dit” alors ce que les mots ne pourraient pas montrer. Chaque portrait fait référence à un fond commun dans lequel se déploie le travail de l’imaginaire. L’expérience s’y confond avec l’invention. Le vécu et l’inventé se rapprochent et s’éloignent l’un de l’autre. La réalité concrète existe. Elle paraît être la condition mais ne reste plus centrale, ni clairement définie ou évidente. L’oeuvre lui échappe.
Entretien :
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
L’étonnement qu’une représentation qui s’appelle ” le monde ” soit toujours disponible.
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Probablement je pourrais vous répondre quand je deviens adulte.
A quoi avez-vous renoncé ?
A vrai dire, je n’ai jamais renoncé à grand’ chose, ayant toujours eu l’impression que tout ce qui n’était pas essentiel brulait tout seul.
D’où venez-vous ?
J’aimerais vous faire un dessin.
Qu’avez-vous reçu en “héritage” ?
L’aristocratie de la peinture.
Un petit plaisir — quotidien ou non ?
Le Prado.
Comment définiriez-vous l’approche du portrait ?
“Ce n’est pas une partie de plaisir [ pour le modèle ]”, me disait Lucian Freud, “mais en fait comment tu peux supporter des gens aussi ennuyeux ?”
Quelle est la première image qui vous interpella ?
Une reproduction d’un campement de gitans par Van Gogh.
Et votre première lecture ?
“Songs of Innocence”, William Blake ; “A Child’s Garden of Verse”, Robert Louis Stevenson.
Quelles musiques écoutez-vous ?
En ce moment, Bohren and der Club of Gore…
Quel est le livre que vous aimez relire ?
Relectures ? Auden, Cavafy, Epictète, Finnegans Wake, Le Journal de Max Beckmann…
Quel film vous fait pleurer ?
“Andreï Roublev” de Tarkovski.
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
Serait-il intéressant de dessiner cette tête-là aujourd’hui ?
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
À Schopenhauer, tiens, c’est une idée.
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
La Quinta del Sordo. J’y vois Francisco Goya respirant ses visions.
Quels sont les artistes et écrivains dont vous vous sentez le plus proche ?
Je songe à Frenhofer ; aussi à un peintre présent comme personnage secondaire dans le “Septentrion” de Calaferte ; dans ses “Lettres à Lucillius” Sénèque a mentionné un peintre qui restera à jamais sans nom ; Zeuxis reste un modèle exemplaire ; mourir de fou rire devant son tableau, ce serait la belle fin.
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Que Il Commendatore me fiche la paix.
Que défendez-vous ?
La vue.
Que vous inspire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
” Découverte du corps d’une femme démembrée aux Buttes-Chaumont : les zones d’ombre persistent autour de l’enquête.”
Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la question ?“
”… then he asked me would I yes to say yes my mountain flower and first I put my arms around him yes and drew him down to me so he could feel my breasts all perfume yes and his heart was going like mad and yes I said yes I will Yes.”
Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
Non, merci, pas de thé.
Entretien et présentation réalisés par jean-paul gavard-perret, pour lelitteraire.com, le 17 février 2023.
Aussi sombre que Goya mais avec humour léger . Donc pas de thé et oui pour JPGP dont les questions pertinentes offrent des réponses atypiques . Etrange.