Gurshad Shaheman, Il pourra toujours dire que c’est pour l’amour du prophète

« L’Autre Passeur »

Gurshad Sha­he­man est venu à l’écriture par la tra­duc­tion de la poé­sie per­sane. Il est un tra-ducteur ; celui qui fait pas­ser d’une langue à l’autre et qui en vient à por­ter sur scène les récits qu’il a rap­por­tés. Texte du pas­sage, texte des tra­ver­sées à bord des Zodiac et his­toire des pas­seurs mer­can­tiles.
Des exi­lés du Moyen-Orient syrien, liba­nais et ira­kien, du Maroc lui « ont confié des bribes de leur vie ». Il est ainsi le tra­duc­teur dans sa langue intime de ces voix et comme le tra­duc­teur s’efface dans la publi­ca­tion du texte devant l’auteur, il s’efface presque, dans sa pièce, Il pourra tou­jours dire que c’est pour l’amour du pro­phète, ne lais­sant que quelques traces presque fan­to­ma­tiques de son écoute, de sa pré­sence : quelques voix dans leur récit s’adressent à lui en le tutoyant ( je vais te racon­ter, tu vois…)

Law­rence, Yas­mine, Hamida, Elliot, Nour, Nowar, Nowara, Mah­moud, Daas, Moham­mad tour à tour, et en « canon » ( leur parole se che­vauche), font le récit de leur enfance, de leur vie d’homosexuels, de trans per­sé­cu­tés dans leur famille ou la société dans laquelle ils vivent mais aussi celui des évè­ne­ments poli­tiques mar­qués par la guerre en Irak ou en Syrie.
Hamza et Ous­sama feront entendre leur voix dans les seuls épi­logues comme s’ils étaient l’écho de ce monde de vio­lence sans fin, d’intolérance si déses­pé­rant. Hamza le Syrien dira :

Là, j’ai com­pris que tout était perdu pour tou­jours. J’ai com­pris qu’il n’y aurait pas de lumière au bout du tunnel/

Que nous étions à jamais entou­rés de ténèbres/ Et que tout espoir était mort.

Et Ous­sama dira :

A la fin ce qui compte/ C’est que tu existes encore.

Ils sont de simples pré­noms ; ils sont jeunes, par­fois encore ado­les­cents. Cer­tains font du théâtre ou vou­draient en faire. Leur tra­jec­toire est mar­quée par l’exil. Ils désertent, ils/ elles quittent leur famille parce qu’il n’y a pas d’autre choix pos­sible pour conti­nuer à vivre. Autour d’eux, la folie des hommes, celle qui pro­voque des atten­tats à la bombe, qui tor­turent, violent, qui mas­sacrent des mani­fes­tants paci­fiques.
Il faut fuir, et gagner l’Europe jusqu’à l’Allemagne, accos­ter sur les îles grecques de Samos, Kas­tel­lo­rizo, depuis le rivage turc. Mais par­fois ils se résignent à ren­trer à Bag­dad ; la même homo­pho­bie sévit en Europe.

La pièce a été créée en 2018 au fes­ti­val d’Avignon, au gym­nase du Lycée Saint-Joseph. Sur le pla­teau, quatre des voix d’exil, des témoins et les comédiens-passeurs, ensemble pour cette seule occa­sion. Cha­cun à sa place, comme des îles soli­taires de chair. Ils sont des exis­tences uniques, immo­biles. Ils sont assis, cou­chés, leur corps bai­gné dans le noir ou la lumière et à leur tour, debout par­lant au micro.
Ils ont d’abord les yeux clos pour être en eux-mêmes pro­fon­dé­ment et finir par ouvrir les yeux comme si le temps du théâtre était jus­te­ment une sorte d’éveil au monde et à la joie enfin de la vie et de l’amour. Pro­non­cer en les répé­tant les tout der­niers mots du texte : C’est si bon.

marie du crest

Gur­shad Sha­he­man, Il pourra tou­jours dire que c’est pour l’amour du pro­phète, Les Soli­taires Intem­pes­tifs 2020, 125 p. — 14,00€.

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