« Work in progress : nos vies qui déambulent. »
Gurshad Shaheman écrit son théâtre mais surtout donne à entendre des vies, nos vies humaines. Il commença par raconter sa propre vie dans Pourama, pourama.
Au début, est toujours l’enfance, la nôtre, la sienne. Mais une œuvre se construit en allant vers les autres, les différents que nous sommes aussi.
Le langage du théâtre ne lui suffit pas ; l’incarnation de plain-pied me semble souvent artificielle, dit-il. Il fait succéder à l’habituelle représentation, la performance dans laquelle, le spectateur peut même toucher (Touch me) celui, celle qui est là, tout près et qui participe à ce partage. Les comédiens ne sont plus seulement face au public ; ils sont avec l’auditoire.
Il fait entendre ainsi des histoires, celles des « minorités, des relégués ». Il y a dans cette entreprise l’idée sensible de ce mouvement physique vers l’autre comme un voyage vers des lieux du pays, comme une trajectoire de l’écrit à l’oral, du silence de soi vers une voix qui circule. Mettre le son, celui de Lucien Gaudion et faire écouter et réentendre. Les voix off comme magnifiques fantômes.
A la suite de la pandémie du Covid, le Ministère de la Culture a fait appel, sous forme d’un concours (cf. Les Mondes Nouveaux), à des artistes, afin qu’ils proposent en relation avec un lieu patrimonial ou un site remarquable, sous l’égide du centre des Monuments nationaux et du Conservatoire du littoral, un projet.
Ainsi Gurshad Shaheman va-il-investir avec sa compagnie, La ligne d’ombre, le très beau monastère royal de Brou à Bourg-en Bresse du 21 avril, jour de sa création, au 21 juin 2023.
Il s’agit d’une installation sonore dans l’un des cloîtres constituée de structures métalliques, pergolas sur lesquelles grandiront des plantes grimpantes. Les visiteurs se promèneront à leur gré à l’écoute des récits, des fragments à l’intérieur d’îlots sonores. Libres à eux d’aller et venir, de revenir sur leurs pas, de négliger un passage.
Les voix multiples dont les corps seront absents résonneront en boucle de 10 à à 18 heures. Jardin des anciennes conversations monacales effacées par celles des êtres privés du dehors, privés de l’amour. Poétique sombre et désespérante d’un vers de La Chanson de Fou 3 d’Emile Verhaeren, en exergue : Jadis, lorsque mon cœur cassa
De l’hôpital public de santé mentale de Prémontré dans l’Aisne au 3 bis f, centre d’arts contemporains installé dans l’enceinte du centre hospitalier Montperrin, Gurshad Shaheman recueille des récits d’hommes et de femmes. Le mot recueillir dit la nécessité de protéger, de réunir ce qui est précieux, ce que lui disent ces êtres mis à l’écart, ces résidents, ces patients. Qu’advient pour eux de l’amour, du désir du corps ?
La collecte attentive nécessite un choix, une mise en ordre. Parfois, il est nécessaire d’effacer, de préciser la pensée sans jamais trahir. Trouver dans des phrases et des mots tendus, une force unique. Réécrire alors à l’abri des lacunes, des choses intraduisibles et ne retenir que la beauté de l’émotion, du langage du cœur. Faire texte et nous le rendre, comme un oratorio sans Dieu.
Les textes de Gurshad Shaheman sont édités par les Solitaires Intempestifs. Son dernier texte, Pour que les vents se lèvent, une Orestie vient d’être créé en octobre 2022, au TNBA.
marie du crest