Quand Claude Minière fait le ménage
Claude Minière — partant ici de l’histoire de la Mésopotamie et d’un jardin public où des enfants s’étonnent des statues — entraîne vers une recherche géologique, dans “Le chant vertical, le silence étendu” et ce, là où toute une mémoire est sondée : “Je creuse le mythe, qui n’est pas fait pour ça” mais en ce sens il rejoint les autres hommes qui — eux “- “creusent, même le superficiel / qu’ils déploient sur la terre le ciel”.
Et c’est pour lui la manière de donner à toute fable sa “raison”.
Mais lui en possède une, essentielle. A savoir, que faisons-nous là ? Existent dès lors différents voyages dans une fouille archéologique de ce qui fut — pensées, souvenirs — à la rencontre de ce qui reste de refoulé ou de “clous”. D’où cette dérive d’un “combat zéro” en un dédale et ce que cela suscite de méditation.
Le tout à la recherche de bribes de connaissances à offrir à ce que nous croyons savoir dans notre perception du temps et de l’espace mais sans illusion puisque, écrit-il, “le zéro / est de tous les temps”.
La poésie rameute donc ce qu’elle peut même si, apparemment, ce n’est pas grand-chose — même si beaucoup se contenteraient de moins. La poussant jusqu’à ses bords, Minière poursuit sa tâche, inlassablement.
Face aux empires, leur silence, il oppose la parole. Elle ne fait pas du sujet un “monument” mais un modeste humain “parmi les héroïsmes, les antiques sons / les pots les tessons” au sein une forme de rébellion.
En effet, tandis que les empires accumulent des charniers et des ruines et des héros morts, le livre avance avec en lui la beauté des épaules des femmes. Celles qui ne portent pas forcément le monde mais le font sortir des ornières. Le livre devient une recherche du paradis perdu tant que faire se peut.
Cela, pour s’élever contre une certaine idée de l’histoire, la réviser, la retravailler ou si l’on préfère “penser à la vie / avant la mort”, quitte à faire parler les disparus avant qu’ils soient mythifiés et tronqués.
La poésie reste à ce titre un moyen de lutter contre une parole instituée et trompeuse pour dire ce qui échappe aux légendes frelatées dans le but de refaire le lit de ce qui fut, est et sera. Il faut pour cela des poèmes “vauriens” . Ils valent ce qu’ils valent mais permettent un certain ménage en arrachant un peu d’obscurité à tant d’histoires.
A bien les comprendre, si leur puissance n’est rien, du moins pas beaucoup, cela permet néanmoins au poème de toucher le réel de manière inattendue dans son impudeur douce et comme subséquente. Juste avant que Minière ne s’efface comme une bougie qu’un ange (noir ?) viendra souffler.
jean-paul gavard-perret
Claude Minière, L’année 2.0, Tinbad, Paris, 24 novembre 2022, 98 p. — 15,00 €.