Entretien avec Natalie Lamotte (“Songes rouges”, exposition)

Nata­lie Lamotte à la recherche du pays rouge où tout est permis

Nata­lie Lamotte forme des songes rouges. D’un rouge sor­ti­lège qui rend le monde léger, aérien. Per­sonne n’y a de croix à por­ter. On y ser­pente loin des dou­leurs. Même si para­doxa­le­ment la cou­leur et les masses rap­pellent notre « viande » dont par­lait Artaud. Mais l’artiste en efface les cha­grins. Dans leur sim­pli­cité poé­tique, de telles œuvres font aussi accep­ter le peu qu’on est. Elles semblent res­pi­rer dans une auto­no­mie tout en per­met­tant de som­brer dans des sor­ti­lèges innom­brables. A nous de les inven­ter. Nata­lie Lamotte pro­pose et le regar­deur dis­pose.
Et nous voici de retour en ter­ri­toire inconnu. En dépit de formes orga­niques, il n’y a là rien de régres­sif et de sacri­fi­ciel. Sur­git un accom­plis­se­ment : il fait aimer la vie. Tout revient sur le registre de l’embellie. Oui l’existence devient un songe. S’y approche une forme de volupté par­fois comique, par­fois sérieuse et aussi éro­tique pour peu qu’on s’y attarde. La chair s’affiche en organe. Mais sous forme d’hallucination plus que de fan­tasme. Sous leur peau rouge, les œuvres sont les indiennes de l’amour.

Mais il n’est jamais ques­tion d’impudeur. Au contraire. Nata­lie Lamotte conduit vers des ber­ceuses. En jouant sur le cla­vier des songes, chaque toile met un petit bout de ten­dresse face à l’obscur des cœurs trop lourds. Le rouge de la vie longe la lumière et innerve les rêves que l’artiste pro­pose afin que le monde entre dans nos yeux.
Ce rouge ne fait pas de pous­sière. Il ne fait pas de taches. Chaque cœur sou­pire : « Je ne veux plus souf­frir, je veux encore des jours ». L’artiste fait glis­ser le long de ce mur­mure. Il devient le nôtre. On s’en remet à lui en une dou­ceur par­ti­cu­lière. Laquelle passe à tra­vers l’autre bord du temps par formes et volumes. Des portes s’ouvrent vers le pays où tout est permis.

Nata­lie Lamotte, Gale­rie Natha­lie Clouard, Rennes, 11 sep­tembre — 9 novembre 2013

ENTRETIEN AVEC NATALIE LAMOTTE

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Le renou­veau per­ma­nant de chaque matin, l’épiphanie du jour, les ren­contres à venir.

Que sont deve­nus vos rêves d’enfant ?

Je ne suis tou­jours pas adulte, je rêve encore.

A quoi avez-vous renoncé ?

Je ne renonce pas, je cherche, je fais, j’avance.

D’où venez-vous ?

Le sud de la France, Mar­seille, Avi­gnon, la lumière, le soleil et des abs­traits amé­ri­cains pour la pein­ture.

Qu’avez-vous reçu en dot ?

La vie.

Qu’avez-vous dû “pla­quer” pour votre tra­vail ?
L’impatience.

Un petit plai­sir — quo­ti­dien ou non ?
Un café, le matin, au comp­toir, pre­mières ren­contres et puis sur­tout ouvrir l’atelier et entrer dans le silence.

Qu’est-ce qui vous dis­tingue des autres artistes ?
Auto­di­dacte, je découvre toute seule mais j’y crois depuis tou­jours. la pein­ture n’est pas facile. Un jour les choses arrivent et s’enchaînent. Il ne faut se pré­oc­cu­per QUE de l’essentiel ! Julije Kni­fer, peintre dont j’ai été l’assistante de 2001à 2004, était un exemple de per­sé­vé­rance. Sans cer­ti­tude… j’ai peut-être une téna­cité, une déter­mi­na­tion plus forte que cer­tains qui très rapi­de­ment ont tout (gale­rie, cata­logue, foires, collectionneurs …).

Quelle fut l’image pre­mière qui esthé­ti­que­ment vous inter­pela ?
Les pein­tures de Giotto et Rothko.

Où travaillez-vous et com­ment ?
Dans le 9.4 en ban­lieue à Vitry sur Seine, du silence d’abord, une concen­tra­tion et de la musique pour por­ter l’énergie. Je peux ne rien faire pen­dant de longues jour­nées, réflé­chir, ensuite tra­vailler en série, recher­cher cet essen­tiel, comme une res­pi­ra­tion. Je peux détruire sou­vent aussi, si l’essentiel n’est pas là. Je suis aussi ensei­gnante dans le 94, en ban­lieue, une zone sen­sible. J’ai besoin de cette éner­gie par­ta­gée, de cet échange avec ces jeunes de ban­lieues qui peuvent nous appor­ter beau­coup, mais on ne les écoute pas assez !

Quelles musiques écoutez-vous en tra­vaillant ?
Des musiques mul­tiples, ça va de chants Sou­fis au rap amé­ri­cain en pas­sant par de la musique indienne, au rock, plu­tôt de la musique qui vient du ventre et qui va à l’âme.

Quel est le livre que vous aimez relire ?
J’ai du mal à relire, je n’ai pas la mémoire des textes, je les vis à un ins­tant pré­cis et les relire cas­se­rait la magie de ce moment passé, je pré­fère décou­vrir dans le clas­sique et le contemporain.

Quel film vous fait pleu­rer ?
Je pleure devant tel­le­ment de film, c’est pitoyable, Paris Texas  de Wim Wen­ders a trans­formé ma manière de peindre et m’émeut toujours.

Quand vous vous regar­dez dans un miroir qui voyez-vous ?
Je déteste les miroirs.
 
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?


Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?

Sans ori­gi­na­lité, New York pour sa vita­lité et comme ber­ceau de l’art amé­ri­cain qui m’a tel­le­ment fait vibrer.

 Quels sont les artistes dont vous vous sen­tez le plus proche ?
Chez mes contem­po­rains, j’ai des affi­ni­tés de recherches avec Anish Kapoor, pour son ambi­guïté abs­traite et orga­nique, cette recherche de l’entre-deux, perdre le regard et la sen­sa­tion dans des ins­tal­la­tions qui jouent tou­jours sur les limites, Dja­mel Tatah, Jean-Michel Bas­quiat, Eminn Tra­cey … La créa­trice de mode Ying Gao, pour son tra­vail d’une infi­nie sen­si­bi­lité, jouant avec tous les sens grâce à ces robes « vivantes », Nata­cha Atlas, pour la sen­sua­lité de sa voix qui appelle tous les rouges pos­sibles. Roméo Cas­tel­lucci pour son étran­geté et ses haï­kus visuels, Patrice Ché­reau pour son corps-à-corps visuel, Louise Bour­geois pour sa folie tel­le­ment communicatrice…

Qu’aimeriez-vous rece­voir pour votre anni­ver­saire ?
Une gale­rie à Paris, New-York, Ber­lin, Shan­ghai, Hong­kong, Dubaï, une grande capi­tale, pour plus d’échanges et des foires internationales.

Que défendez-vous ?
« Art is a gua­ran­tee of sanity »,  je reprends cette phrase de Louise Bour­geois, j’espère trans­mettre cette notion de liberté par l’art aux gens que je ren­contre et à mes élèves.

Que vous ins­pire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Dans ce monde saturé de consom­ma­tion, cette phrase me va, l’Amour c’est don­ner ce qu’on n’a pas… L’Amour c’est don­ner, je ne peins pas uni­que­ment pour moi, je veux par­ta­ger davan­tage, à cha­cun aussi de venir ren­con­trer, com­prendre, défendre, s’il le veut.

Enfin que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la ques­tion ?”

Ralen­tir vous va.

Pré­sen­ta­tion et entre­tien réa­li­sés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com en août 2013.

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