Ce Cahier de l’Herne est en tout point remarquable.
Mixant comme toujours textes inédits, approches universitaires (Rabaté, Viart) et visions de créateurs contemporain (Gérard-Titus Carmel, Florence Delay), il montre comment Echenoz a renouvelé le roman à travers objets et corps, silhouettes plus ou moins anonymes qui posent la question de l’appartenance, l’apparentement et de la désappropriation. Bref lieux, objets, situations deviennent des reliques très particulières. Chaque indice est la fable de la perte plus que celle d’un lieu ou d’un temps.
Les moments de cet ensemble de L’Herne proposent diverses clés pour les fictions d’Echenoz. En décalage avec la simple narration, l’auteur fait plus confiance aux objets comme aux corps qu’aux esprits pour que la fiction possède des contenus plus signifiants par effet de matière et de manière.
Retirant de ses romans tout aspect de saga, Echenoz ne garde que quelques élément majeurs. Ils ne sont pas a priori les plus signifiants mais ils font la force du livre, ses espaces de tension, ses lignes souterraines indices de l’inconnu d’une histoire dont on croyait tout connaître. Mais on se trompait.
Par sédimentations, comme par vignettes condensées, Echenoz raconte l’histoire d’histoires grandes ou petites. Point ou peu de psychologie : l’auteur montre comment les corps “fondent” d’une manière ou d’une autre.
D’où ce qui est le plus important : le roman échenien nous fait douter de tout ce que nous avons appris et que nous croyons savoir. Toujours en mouvement, de telles fictions se déplacent et leurs lecteurs et lectrices font en conséquence de même. Preuve que le roman met bien en jeu les corps et les objets (moyens de transport mais pas seulement).
Déstabilisant l’intégrité romanesque, tout homo habilis prend chez l’auteur un cadrage particulier comme en léger surplomb pour nous suggérer qu’il pourrait être nous-même mais demeure un étranger qui nous interpelle. Le tout avec humour.
Si bien que des “exemples obliques”, comme l’écrit Christine Marcandier, font d’Echenoz un envoyé très spécial. Et un correspondant de guère comme de guerre hors pair.
jean-paul gavard-perret
Jean Echenoz, L’Herne — Echenoz, Cahier de l’Herne dirigé par Johan Faerber, Editions de l’Herne, Paris, 2022, 240 p. — 33,00 €.