Jockum Nordström, Tout ce que j’ai appris puis oublié

Une expé­rience ori­gi­nale de la vie et du monde

Naïves et éru­dites, des­crip­tives et énig­ma­tiques, les œuvres (des­sins, col­lages et sta­tuettes en par­ti­cu­liers) de Jockum Nord­ström se déve­loppent essen­tiel­le­ment à par­tir de maté­riaux pauvres comme le papier ou le car­ton. Les images créées sont par­se­mées d’objets, d’animaux et de per­son­nages. Elles pro­posent des nar­ra­tions proches de la fable et du conte. Fidèles à ces deux genres, elles sur­gissent douces, tendres mais tout autant dérou­tantes et énig­ma­tiques. En ce sens elles demeurent dans la veine d’une ico­no­gra­phie nor­dique du temps : celle d’unVeikko Hir­vi­maki par exemple.
Le LAM (Vil­le­neuve d’Ascq) pré­sente actuel­le­ment sa pre­mière grande expo­si­tion en France . Elle per­met de com­prendre l’ensemble d’une œuvre par­fai­te­ment cohé­rente. Après des études à l’université d’art K. U. C. A. D. de Stock­holm et un pre­mier job dans les bureaux de la Poste Sué­doise, le futur artiste est devenu illus­tra­teur pour un jour­nal local (le « Dagens Nyhe­ter »), puis a conçu des livres pour enfants. Tour­nant en rond, il opta pour la pein­ture. Aller­gique aux sol­vants, il dut y renoncé et fit retour vers le des­sin. Ce pas­sionné de musique conçoit aussi de nom­breuses pochettes de CD et les musi­ciens appa­raissent dans ses images sous la forme de pho­to­gra­phies décou­pées et col­lées. Ils res­semblent par­fois à des loups effa­rés et semblent sor­tir d’une forêt du Nord. Ils sont tou­jours enclins à pro­po­ser des airs aussi mal équar­ris que savam­ment ajus­tés. Par­fois un ange les tire par les pieds. Par­fois c’est un diable. Mais Nord­ström a tôt fait de les dépla­cer pour évi­ter le pire. Et afin qu’ils ne retrouvent pas une terre trop dure, il les fait voler dans l’espace.

Chez l’artiste sué­dois (né en 1963), tout joue entre équi­libre et dés­équi­libre : depuis ses des­sins au crayon des années 1995 à 2010 jusqu’à ses col­lages les plus récents, en pas­sant par ses sculp­tures archi­tec­tu­rales et ses col­lages pho­to­gra­phiques des années 2006–2013. Assem­blages et mon­tages (comme ses boîtes en équi­libre instable de « A qui le monde appartient-il ? ») sont le fruit d’une démarche sin­gu­lière où se mêlent réfé­rences à la culture popu­laire ou savante sué­doise, au Folk Art U.S., à l’art brut et aux col­lages sur­réa­listes. Celui qui tire les ficelles ne renie rien de sa mémoire. Mais au lieu de la plom­ber, cela conforte ses images dans une étran­geté. On ten­te­rait bien de leur don­ner des expli­ca­tions, de déplier des rai­sons. Mais qu’importe. A l’image de ses struc­tures de car­ton, tout s’emboîte et qu’importe si on ne sai­sit pas le fonc­tion­ne­ment. Le mixage des figures, leur mon­tage par­fois ambigu crée un uni­vers désta­bi­li­sant dans lequel il ne faut pas cher­cher un refuge mais se lais­ser empor­ter.
Ce qui tapisse le sup­port ou s’érige en 3 D réveille des morts, donne du cou­rage aux vivants et dégrafe les cor­sages de cer­taines chan­teuses de Rytmm and blues en robe légère. D’un por­trait à ‚il y a bien des loo­pings. Ici une fée âgée et voû­tée s’active sur en une occu­pa­tion équi­voque et dou­teuse. Plus loin, un gar­çon de café accueille le spec­ta­teur avec les hon­neurs qu’on doit aux sau­vages. En fond de salle et sur une petite scène, un orchestre à cordes oblige déjà à écou­ter un air impro­bable tan­dis que l’artiste (en digne héri­tier de ses études de design ) pro­pose des inté­rieurs réso­lu­ment vides et déri­soires. Dans un autre des­sin, un ver­tige venu des forêts et du froid sai­sit un pro­me­neur en cha­peau claque. Le gro­tesque est là mais la dou­ceur aussi. Pour autant, rien de mièvre ou d’innocent. De l’enfance des livres pre­miers il ne reste que l’oeil des gamins. Comme eux l’artiste regarde vivre plus ou moins bien les adultes dont il se moque en silence vibrant.

jean-paul gavard-perret

Jockum Nord­ström, Tout ce que j’ai appris puis oublié , Edi­tions Hatje Cantz, Stutt­gart, 208 p.
Expo­si­tion (même titre) au LAM (Lille Métro­pole Musée d’Art Moderne, d’art contem­po­rain et d’art brut – Vil­le­neuve d’Ascq) puis cam­den Arts Centre (Londres).

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