De Giacometti à Beckett, il n’y a qu’un pas. Tous les deux ont concocté le gâchis, la foirade contre une idée de l’achèvement. Chez eux l’oeuvre reste en suspens.
Néanmoins, Dupin a bien noté ce qui séparait deux des plus grands créateurs du XXème siècle. Pour l’un (qui fabriqua entre autres l’arbre d’En attendant Godot), cela revient à se maintenir dans un ineffable début, chez l’autre foirer, c’est signifier l’avortement de toujours.
C’est pourquoi les mots de Dupin sur Giacometti demeurent essentiels. Ils restituent l’ensemble de son travail sans l’encombrer d’un logos prétentieux.
Tout est invitation à un retour à elle de manière instinctive et ce, dès la première monographie de l’artiste en 1962 : Textes pour une approche. Suivent ici plusieurs textes sur lui dans des approches les plus pudiques et simples qui soient.
Le poète se veut témoin des images avec lesquelles il entretient — comme Giacometti avec ses modèles — “une irréductible distance, un fructueux désaccord.”. Dupin reste néanmoins toujours à distance de l’artiste afin de n’en ” parler qu’en étranger”.
Histoire d’éviter bien des malentendus et de laisser vivre l’oeuvre depuis l’atelier et pour souligner le gouffre que, par ces érections, l’artiste édifia dans un suprême paradoxe.
Cela, en un travail qui est tout autant d’excavation et de creusement — parlons à ce propos de creux-ation.
jean-paul gavard-perrret
Jacques Dupin, Face à Giacometti, édition établie et présentée par Dominique Viart, P.O.L., Paris, juin 2022 — 15,00 €.