Jacques Mataly et la ligne d’horizon — entretien avec le photographe (Seuils. Transparences)

Jacques Mataly pho­to­gra­phie l’horizon. C’est dès lors, dit-il, “une invi­ta­tion à voir l’impossible, à pro­me­ner son regard au bord du globe ter­restre, c’est une ligne de flot­tai­son de l’imaginaire.” Puisque sans cesse cette ligne se retire à mesure que nous avan­çons vers elle.
Tout tient à la com­bi­nai­son de la qua­lité de la lumière, du choix du film, et de la tech­nique du déve­lop­pe­ment et le tirage sur papier photo tra­di­tion­nel. Les œuvres démul­ti­plient les hori­zons dans de grands for­mats néces­saires, sans jamais en venir à bout.

Et cette impos­sible ligne n’est plus figée devant l’immuable mais sou­ligne les jeux de l’éphémère : ils deviennent la marque du désar­roi et de l’ambition du photographe.

Entre­tien : 

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Si je reste cou­ché trop long­temps, j’ai mal au dos.

Que sont deve­nus vos rêves d’enfant ?
Quand j’étais enfant, je vou­lais deve­nir archi­tecte. Fina­le­ment, je me suis contenté d’essayer d’organiser l’espace à l’intérieur de mes photographies.

A quoi avez-vous renoncé ?
Au Grand Soir. Ça fait déjà long­temps que je n’y crois plus.

D’où venez-vous ?
Peu importe. L’important, c’est où on va. Et sur­tout, avec qui !

Qu’avez-vous reçu en “héri­tage” ?
L’idée que, quel que soit le domaine, on est tou­jours déçu quand on « bâcle » ce qu’on fait. Et par ailleurs, un inté­rêt cer­tain pour le basketball.

Un petit plai­sir — quo­ti­dien ou non ?
Chez moi, sur les murs mais aussi empi­lés un peu par­tout, il y a des tableaux, des des­sins ou des pho­to­gra­phies. Sou­vent des œuvres faites par des amis. C’est un plai­sir d’être tous les jours si bien accompagné.

Qu’est-ce qui vous dis­tingue des autres pho­to­graphes ?
Ce n’est pas ten­dance, mais je suis obs­ti­né­ment fidèle à l’argentique. Je n’ose même pas ima­gi­ner qu’un jour il pour­rait ne plus y avoir de pellicules.

Quelle est la pre­mière image qui vous inter­pella ?
André Ker­tész, La Mar­ti­nique, 1er jan­vier 1972. Elle trô­nait chez Agathe Gaillard, la pre­mière gale­rie uni­que­ment consa­crée à la pho­to­gra­phie que j’ai visi­tée — hor­mis le Châ­teau d’Eau évi­dem­ment puisque j’habite à Tou­louse. C’est une pho­to­gra­phie mini­ma­liste, d’une com­po­si­tion très gra­phique. On y devine une sil­houette fan­to­ma­tique et soli­taire, pen­sive devant l’horizon infini.

Et votre pre­mière lec­ture ?
Enfant, j’étais sou­vent malade. Donc, je res­tais chez moi, avec mes livres comme com­pa­gnons. Les pre­miers dont je me sou­viens : “Le club des cinq” dans la biblio­thèque rose. Je devais avoir la col­lec­tion com­plète, une ving­taine de titres, que je lisais et reli­sais en boucle.

Quelles musiques écoutez-vous ?
La musique tient une place impor­tante dans ma vie. Mes goûts sont assez éclec­tiques : Keith Jar­rett, Paco de Lucia, Arvo Pärt, Kje­til Mule­lid, Mau­rice Ravel, Jan Gar­ba­rek, John Sur­man, Steve Reich, Camaròn de la Isla, Phil Glass, Fré­dé­ric Cho­pin, Enrique Morente, Joni Mit­chell, Miles Davis, John Col­trane , Anouar Bra­hem, Cathe­rine Ribeiro, Esb­jörn Svens­son, et plein d’autres encore…

Quel est le livre que vous aimez relire ?
En ce moment “Fran­çoise” de Ber­nard Plossu (éd. Mes­tizo). Un grand petit livre, mer­veilleux et émou­vant. Une série de splen­dides por­traits de Fran­çoise Nuñez, qui s’en est allée il y a quelques mois.

Quel film vous fait pleu­rer ?
“In the Mood for Love” de Wong Kar-Wai. Et aussi les films de Clint East­wood comme “Mil­lion Dol­lar Baby” ou “Sur la route de Madi­son”. Et “Green Book” de Peter Far­relly, etc.

Quand vous vous regar­dez dans un miroir qui voyez-vous ?
Un type un peu perdu et maladroit.

A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
A Man­fred Eicher. J’ai une immense admi­ra­tion pour ce mon­sieur qui a créé le label ECM (Edi­tions of Contem­po­rary Music). Il m’a fait décou­vrir des mondes insoup­çon­nés. Il édite de très belles œuvres, le son est tou­jours superbe et le design des jaquettes magni­fique. J’aurais rêvé que quelques-unes de mes pho­to­gra­phies se glissent dans cet uni­vers…. Mais je n’ai jamais été capable de prendre la moindre ini­tia­tive pour rendre cela envi­sa­geable. Par peur de l’échec je sup­pose. Il aurait été trop dou­lou­reux d’essuyer un refus.

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
La ligne d’horizon.

Quels sont les artistes et écri­vains dont vous vous sen­tez le plus proche ?
Mark Rothko et aussi : Bill Viola, José Ángel Valente, José Tomás, Anne Teresa De Keers­mae­ker, Magic John­son, Nico­las De Staël, Robert Frank, Hen­drik Groën, Alain Mon­nier, Edouardo Chil­lida, Sean Scully, Johannes Vermeer…

Qu’aimeriez-vous rece­voir pour votre anni­ver­saire ?
Un tapis volant, c’est silen­cieux, ça ne pol­lue pas, on peut dor­mir tran­quille, on se pose où on veut…

Que défendez-vous ?
La Taxe sur les Tran­sac­tions Finan­cières qui vise à péna­li­ser les tran­sac­tions spé­cu­la­tives de court terme pour col­lec­ter des recettes publiques et finan­cer les biens communs.

Que vous ins­pire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas” ?
Lacan a-t-il jamais été amoureux ?

Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la ques­tion ?“
Sou­vent les apho­rismes sau­gre­nus de Woody Allen m’amusent, même quand je ne com­prends pas où il veut nous amener.

Quelle ques­tion ai-je oublié de vous poser ?
Où aimeriez-vous vivre ? Je reviens d’Andalousie. Une région que j’ai sou­vent fré­quen­tée et où j’ai des amis. Comme sou­vent au retour, je me demande pour­quoi je ne vis pas là-bas, ou au moins pour­quoi je n’essaie pas ?

Entre­tien et pré­sen­ta­tion réa­li­sés par jean-paul gavard-perret, pour lelitteraire.com, le 22 mai 2022.

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