Nélida Pin͂ón est l’une des plus grandes romancières brésiliennes contemporaines. Après des études de journalisme, elle devient rédactrice en chef et membre du conseil éditorial de plusieurs revues au Brésil ainsi qu’à l’étranger. En 1995, elle intègre l’Académie Brésilienne des Lettres, et devient la première femme à en occuper la présidence quelques temps plus tard. En 2005, elle reçoit le prix Prince des Asturies de littérature pour l’ensemble de son œuvre.
Depuis les années 2000, les éditions Des femmes-Antoinette Fouque décident de faire connaître l’écrivain en France, et publient ses romans. Après l’édition entre autres de La Force du destin, La maison de la passion ou encore Mon livre d’heures, voici Un jour j’irai à Sagres qui restera peut-être comme son chef-d’oeuvre tant le livre est aussi “fou” qu’accompli.
Celle dont le prénom, Nélida, est un pseudonyme, et l’anagramme du nom de son grand-père (Daniel) et dont la famille est issue de l’immigration Galicienne, après avoir raconté cette histoire dans son roman La République des rêves va traiter ici d’une certaine manière à l’envers la question de l’immigration.
Sous forme à la fois autobiographique et de flux de conscience, cette fiction devient un roman d’apprentissage et un voyage dans le XIXème siècle portugais dans un mixage de vérité et de mensonge ou si l’on préfère de réalisme et d’imaginaire.
Matteus — le narrateur — retrace sa vie marquée par un choc affectif premier qui va donner à sa vie un sens particulier. Passionné d’histoire et victime d’une passion amoureuse jouée d’avance, il va plonger dans un système d’identification qui tient de la chimère. Le tout à travers trois lieux qui constitue la mythologie personnelle et d’une certaine manière collective d’un tel héros.
D’un village de la province du Minhio, il va rejoindre d’abord Lisbonne puis la destination rêvée et fantasmée depuis l’enfance : Sagres dans l’Algarve à l’extrémité du Portugal entre Afrique et Europe et choisi par l’Infant Henrique pour y fonder une école navale préparatoire aux expéditions propres à créer l’empire mondial portugais.
Le récit dans ce qu’il rassemble mêle tout ou presque ; contact avec la nature er les animaux, l’amour spirituel et sexuel, bonheur et malheur selon des liens et des rites ancestraux le tout dans un monde où le naufrage est collectif et le salut individuel.
D’où tout un jeu de jonctions mais aussi de renversements de valeurs, le tout dans une langue riche, baroque mais précise. Epique et lyrique aussi. Mais selon l’évangile littéraire cher à l’auteure. Rien n’est superflu et à l’inverse tout est tendu dans la vie d’un tel “triste rebelle”.
Il ne se paie pas de mots, va à l’essentiel en son voyage au long cours qui peu à peu donne forme à l’informe tant que faire se peut par ce qu’il ajuste et rassemble. Et cela est fascinant de bout en bout, le tout dans les ruines des villes et les bribes de son existence.
Cela rappelle parfois L’Amérique de Kafka, mais avec Nélida Pin͂on l’histoire va jusqu’au bout entre errances, dérives et ce qu’il en reste pour ce “navigateur”. C’est peu diront certains, mais il se serait contenté de moins.
jean-paul gavard-perret
Nélida Pinon, Un jour j’irai à Sagres, traduit du portugais par Didier Voïta & Jane Lessa, Des femmes — Antoinette Fouque, Paris, mai 2022, 480 p. — 24,00 €.