L’éclectisme de Marcel Proust se retrouve dans ses Essais où il se fait “concierge de génie”. Nous le découvrons averti autant en littérature, art plastique, musique qu’en et surtout philosophie.
Existe chez lui un philosophe caché. Il pratique, dit-il, des “barbotages” d’après les leçons d’Alphonde Darlut son professeur de Proust à Condorcet qui prenait son chapeau comme exemple et parangon de la réalité.
Ces essais fourmillent d’analyses et de “consultations” où l’intellect de Proust tourne à plein dans les examens d’oeuvres très diverses. Ils furent connus par l’édition de Contre Sainte-Beuve publié en une première version en 1953 et ce, avec l’idée qu’il fallait enfin se concentrer sur tous les textes de l’écrivain.
Le succès du livre auprès de la “Nouvelle Critique” des années 60 avec Barthes et Foucauld fut immédiat. Canonisé par cette opposition à Sainte-Beuve, Contre Sainte-Beuve devient la proto-recherche de La Recherche, passage de l’essai au roman.
La sensibilité pourra se donner libre cours dans celui-ci même si dans Essais elle est loin d’être absente. Mais le roman lui permettra de dépasser le clivage entre l’esprit de géométrie et l’esprit de finesse à travers trois personnages : Vinteuil (le compositeur double de l’ami Renaldo Hahn), Bergotte l’écrivain qui meurt devant le petit pan de mur jaune de Vermeer et Estir le peintre chimérique du roman.
Ces connexes qu’Antoine Compagnon a intitulé Essais ne sont pas négligeables. Dans La Pléiade, ils font suite et reprennent l’ouvrage publié dans la même collection en 1971 sous le titre Contre Sainte-Beuve précédé de Pastiches et mélanges et suivi de Essais et articles.
Mais ce volume ne fait pas que remplacer ce volume premier. Il représente bien autre chose qu’une nouvelle édition. Son plan, son titre, son sommaire, considérablement enrichi témoignent de ses intentions qui dépassent la trinité première dominée par Contre Sainte-Beuve.
Proust philosophe apparaît par ailleurs comme un amateur d’art éclairé et encyclopédique. Passionné par l’art classique, il l’est tout autant de l’Art Nouveau, de l’art japonais et de toutes les avant-gardes. Il connaît le cubisme très tôt et son immersion dans l’art contemporain est constante. L’art pour lui est la vie même. Il y perçoit l’enrichissement “en vie” que cela représente.
Se découvre un Proust mal connu. Celui qui reconnaît ce qui “détruit la ressemblance” chez Picasso entre autres — il est sensible à de telles superpositions.
D’ailleurs, Proust l’a connu. Et Picasso lui-même le repérant dans un salon déclare : “regardez-le, il est dans son motif”.
Proust — curieux de tout — frôle même Dada. Et Breton alors dadaïste (relecteur chez Gallimard de La Recherche et que Proust soupçonne non sans raison de jalousie et de ressentiment) le sollicite. Mais comme il l’écrit à Soupault, il lui refusera des pages pour sa revue “Littérature”.
Existe néanmoins chez lui un acte d’adhésion aux “champs et chants” surréalistes. A Raymond Roussel lui-même, il écrit qu’il porte sans faiblir “un prodigieux outillage poétique” à son travail. Certes, il y a là une forme de politesse de classe et une dimension mondaine, mais cela prouve son extraordinaire encyclopédisme qui — qui sait — aurait pu aller jusqu’au ready-made de Duchamp…
A côté de la philosophie, l’art visuel conserve pour Proust une place singulière : “par l’art nous pouvons sortir de nous et voir le monde se multiplier écrit-il. Les “rayons spéciaux” en perdurent ajoute-t-il. Il les découvrit entre autres chez Rodin et Monet.
Grâce à de dernier, il trouva l’idée de son oeuvre majeure, “cathédrale d’art” s’il en est.
jean-paul gavard-perret
Marcel Proust, Essais, Édition publiée sous la direction d’Antoine Compagnon, avec la collaboration de Christophe Pradeau & Matthieu Vernet, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, Paris, avril 2022, 2059, p. — 62,00 €.