Letizia Battaglia vient de disparaître et avec elle une des grandes figures de la photographie internationale. L’artiste éprouva un sentiment d’amour et de haine envers la Sicile et Palerme.
Sa ville fut symbole pour elle de magie, de lieu privé et solennel et surtout de vie et de mort. Deux fois, elle a tenté de la quitter mais y est revenue rapidement.
Pendant la quasi-totalité de sa carrière politique, elle a siégé au conseil municipal avec Leoluca Orlando (l’actuel maire de Palerme). Elle fut une intellectuelle non-conformiste, reporter-photographe, amoureuse de littérature, de poésie, d’art et de patrimoine. Elle demeura toujours attentive aux perdants.
Dans un de ses séjours à Milan, elle se lia d’amitié avec Pier Paolo Pasolini et photographia des célébrités (Ezra Pound, Dario Fo , etc) et documenta les évènements des années de plomb.
De retour à Palerme, avec Franco Zecchin elle crée l’agence “Informazione Fotografia”, et se confronte rapidement aux crimes de la Maffia. Il lui arrivait de photographier 4 à 5 meurtres par jour. Si bien qu’elle décrivit ses images comme des “archives de sang”.
Elle considérait que sa mission consistait à documenter la réalité pour provoquer son changement.
Ses images sont exclusivement en noir et blanc et presque exclusivement en grand angle, ce qui poussa la photographe et oblige le spectateur à se rapprocher de l’horrible réalité. Elle documenta donc le monde maffieux de l’intérieur, et exposa les liens entre la classe dirigeante et le milieu du crime.
Se découvre aussi dans ses photographies toute une réalité sociale — le plus souvent à travers des femmes et d’enfants reflet de la société : filles abasourdies par l’ombre du silence, garçons avec leurs armes. Tout le monde sicilien vécut sous son regard.
S’y retrouvent la misère, les traditions, les célébrations, les funérailles, les processions et les mariages. Et son oeuvre témoigne d’un engagement sans failles.
jean-paul gavard-perret