Karine Chavas et les prunes de Cythère : entretien avec l’artiste (Nudum Corpus)

Dans la série de Karine Cha­vas Nudum Cor­pus, chaque femme semble se sou­ve­nir de la phrase de Duras : “je tra­verse, j’ai été tra­ver­sée”. Et sou­dain, dans la pic­tu­ra­lité que l’artiste façonne, le réel n’est pas parti. Du moins pas trop loin. Pas en tota­lité. L’image ne veut pas par­tir de là. De la soli­tude non plus.
“C’est là que j’ai vécu “, écri­vait encore Duras. C’est là que les femmes de la pho­to­graphe vivent. Et les pho­to­gra­phies de Cha­vas deviennent des romans, des nou­velles, un cinéma muet.
Sur­git le regard ambigu sur le sta­tut non moins ambigu de la fémi­nité dans une société avide tou­jours de cloi­son­ne­ments et de pérennité.

L’artiste nous donne à voir le tra­vail de sape salu­taire et délé­tère de la vraie liberté.
Celle qui fonde et qui brise, celle qui révé­lée tend à occu­per tout l’espace et faire le vide autour de soi.

Karine Cha­vas, Nudum Cor­pus 


Entretien :

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
L’idée d’aller faire de belles images, ou d’avoir tenté du moins.

Que sont deve­nus vos rêves d’enfant ?
Mon plus grand rêve était de faire un métier artis­tique, j’essaie de ne pas lâcher l’affaire.

A quoi avez-vous renoncé ?
A la pein­ture à l’huile par manque de temps, ce qui explique cer­tai­ne­ment l’aspect pic­to­ria­liste de mes images : je tente un entre-deux.

D’où venez-vous ?
Sans doute du même endroit où nous retour­nons après la mort de notre personnage…

Qu’avez-vous reçu en “héri­tage” ?
J’imagine que mes ori­gines tos­canes expliquent mon amour pour la Renais­sance italienne.

Un petit plai­sir — quo­ti­dien ou non ?
Brailler la chan­son « Cry to Me » de Solo­mon Burke dans la voi­ture ou ma cui­sine en cas de léger coup de blues ou juste pour la plai­sir… et finir la jour­née avec une bière fraîche.

Qu’est-ce qui vous dis­tingue des autres artistes ?
Le fait d’apprendre à renon­cer à l’être pour deve­nir simple pas­seuse d’art. Etre « artiste » non pas comme une fina­lité mais plus comme un « outil » aidant à chan­ger nos propres per­cep­tions. D’où les séries d’images dites en « vibrance » d’ailleurs, inter­ro­geant entre autres sur la réa­lité (et la dua­lité onde/corpuscule).

Com­ment définiriez-vous votre approche du corps fémi­nin ?
De la même manière, je l’utilise comme un simple outil ser­vant à cap­ter la lumière, à livrer une émo­tion esthé­tique ou inté­rieure. Je pour­rais le faire avec des prunes comme le fai­sait Char­din, mais il faut recon­naître que le corps fémi­nin offre une vaste palette allant de la déli­ca­tesse à la puis­sance tor­tueuse… cha­cun y voyant en même temps ce qu’il a décidé d’y voir.

Quelle est la pre­mière image qui vous inter­pella ?
Les san­guines de Leo­nard de Vinci que je m’entraînais labo­rieu­se­ment à copier durant mon enfance.

Et votre pre­mière lec­ture ?
“Jona­than Living­ston le goé­land” de Richard Bach, puis à l’adolescence, j’ai dû relire 10 fois “Illu­sions” du même auteur.

Quelles musiques écoutez-vous ?
Soul et blues-rock en géné­ral, d’Otis Red­ding à Hanni El Kha­tib en pas­sant par Ben Har­per. J’aime en par­ti­cu­lier quand le son est rugueux… un peu comme mes images d’ailleurs.

Quel est le livre que vous aimez relire ?
“Nove­cento Pia­niste” de Baricco, “Notre Dame de Paris” d’Hugo en BD, “Les Pas­sa­gers du Vent” de Bourgeon…

Quel film vous fait pleu­rer ?
Le film “Pre­mier Contact” m’a bou­le­ver­sée par sa finesse et son approche de la rétro-causalité, un concept qui me passionne.

Quand vous vous regar­dez dans un miroir qui voyez-vous ?
Une simple « enve­loppe », le per­son­nage que je joue actuellement.

A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
Lors d’une confé­rence sur le rire et l’éloquence, j’ai regretté n’avoir pas posé la ques­tion à Boris Cyrul­nik de son regard sur l’ironie socra­tique. Je l’ai tant regretté que j’ai envi­sagé de lui deman­der un jour par écrit… mais ne l’ai jamais fait.

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Le temple d’Horus à Edfou pour les arché­types sur les­quels il m’a per­mis de tra­vailler, et la ville de Flo­rence bien sûr pour l’effet «syn­drome de Sten­dhal » qu’elle provoque.

Quels sont les artistes et écri­vains dont vous vous sen­tez le plus proche ?
J’ai une immense admi­ra­tion pour le peintre contem­po­rain Roberto Ferri, ras­sem­blant tout ce que j’aime en art : l’hommage aux grands maîtres ita­liens par son approche du clair-obscur et une touche contem­po­raine en plus qui décale l’image vers un autre uni­vers. Ten­ter de le faire en pho­to­gra­phie, comme je l’essaie par­fois, est une chose, mais pos­sé­der sa maî­trise tech­nique en pein­ture en est une autre.

Qu’aimeriez-vous rece­voir pour votre anni­ver­saire ?
Je demande sou­vent un clone pour pou­voir avoir le temps de tout faire et pou­voir créer plus encore. On m’offre en géné­ral des mar­rons gla­cés : c’est déli­cieux mais ce n’est pas pareil.

Que défendez-vous ?
L’idée du non-jugement et de la non-dualité, la ten­ta­tive d’arriver à gar­der l’esprit calme (ou ce qu’il en reste) au milieu de la tempête.

Que vous ins­pire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Je pense que cela vient de la confu­sion entre nos amours per­son­nels et par­ti­cu­liers (déci­der d’aimer untel mais pas son voi­sin) et ce qu’on peut appe­ler Amour Incon­di­tion­nel, que nous avons déjà tous mais que nous avons oublié.

Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la ques­tion ?“
Quelle était la réponse ?…his­toire de créer un mou­ve­ment perpétuel…

Quelle ques­tion ai-je oublié de vous poser ?
La ques­tion du sens de la vie peut-être ? Quelqu’un disait que si elle a un sens, il espé­rait que ce soit celui de l’humour…

Entre­tien et pré­sen­ta­tion réa­lisé par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 4 avril 2022.

1 Comment

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One Response to Karine Chavas et les prunes de Cythère : entretien avec l’artiste (Nudum Corpus)

  1. Villeneuve

    En backs­tage Roberto Ferri , Flo­rence et Sten­dhal , Léo­nard De Vinci etc . Karine fai­seuse d’images rugueuses , est une pas­seuse de toute la beauté de l’Italie tout en gar­dant ce que JPGP nomme ” le regard ambigu sur le sta­tut non moins ambigu de la fémi­nité dans une société avide tou­jours de cloi­son­ne­ments et de péren­nité. ” En un mot : Liberté .

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