La seule séparation qui puisse ouvrir
Aimer ne va pas de soi. Il y faut parfois tout un épuisement de variations et de répétitions. Et surtout, dans ce livre, des décalages.
D’abord celui de la nuit qui pour l’héroïne Sonia “a quelque chose d’électrique, d’impalpable. Toute la tension de la journée s’évanouit d’un coup. Les yeux deviennent lourds, les ventres se détendent. La sexualité prend une autre forme.”
Cette jeune fille unique est élevée par sa mère dans une maison au bord de la forêt. Mais lorsque cette mère tombe amoureuse d’Adam, la relation fusionnelle entre les deux femmes est troublée. Sonia vu son âge et sa solitude est forcément romantique et passionnée.
Si bien que l’attachement pour ce nouveau et sémillant beau-père se transforme en désir. Il est d’autant plus fort qu’il est interdit.
La situation est classique mais Diane Chateau Alaberdina, l’aborde avec une sorte de grâce infuse. L’attente de Sonia échappe à l’attention, ouvre sur l’inattendu par un bouleversement des “rôles” si bien qu’une certaine trame ne s’arrête plus.
C’est de là qu’il faut repartir loin de tous “mots d’ordre”, donc avec des débris de paroles. Car la sottise serait de croire que toute pensée s’exprime par le langage. L’écriture propose non l’idée mais la ouate de la parole. C’est sortir de ses pensées et ne pas y étouffer. Et voilà ce qui est espéré mais qui peut mettre hors de soi.
L’écriture est alors la seule séparation qui puisse ouvrir. Son activité est irréductible à une opération mécanique.
Car un tel trio ne vit pas seulement de contenus d’informations ni même de vérités, mais d’abord de relations que les mots engagent en créant une communauté inavouable.
jean-paul gavard-perret
Diane Chateau Alaberdina, Paysages de nuit, Gallimard, collection Blanche, 2022, 208 p.