Mathieu Slama, Adieu la liberté

A lire avec ou sans “pass vaccinal”

Nous avions recensé ici, en 2020, Ce virus qui rend fou de Bernard-Henri Lévy, en saluant sa charge contre la “stra­té­gie sani­taire“ à une époque où celle-ci n’en était qu’à ses débuts.
Près de deux ans plus tard, alors que les diverses formes de pri­va­tions de liberté se sont bana­li­sées au point de se muer en nou­velle nor­ma­lité, le livre de Mathieu Slama nous offre une réflexion plus large et plus appro­fon­die sur le même sujet.

L’auteur a tiré pro­fit du temps qui s’est écoulé depuis le 16 mars 2020 pour obser­ver les constantes de la poli­tique qui a été sui­vie, en France et ailleurs, pour affron­ter la pan­dé­mie, mais aussi (et sur­tout) de l’acceptation d’une ges­tion arbi­traire par la plu­part des Fran­çais.
“Pouvait-on ima­gi­ner qu’un peuple aussi libre et fron­deur que le nôtre suc­com­be­rait aussi vite et aussi faci­le­ment aux attraits de la ser­vi­tude ? », se demande Slama, cher­chant “la rai­son du désastre“ (p. 16).

Pour ce qui concerne le pou­voir poli­tique, l’essayiste ne pense pas qu’il ait voulu asser­vir, obser­vant : “Le pou­voir n’a qu’une obses­sion : s’auto-entretenir. Que cet objec­tif passe par les liber­tés ou par la ser­vi­tude, peu lui importe. Si la pré­ser­va­tion des liber­tés avait per­mis à Emma­nuel Macron de demeu­rer popu­laire et poli­ti­que­ment com­pé­ti­tif, nul doute qu’il les aurait pré­ser­vées et qu’il n’aurait pas confiné un peuple entier. Ce n’est donc pas l’Etat qui est le pre­mier res­pon­sable de notre débâcle. […] L’Etat est dis­ci­pli­naire parce que la société est dis­ci­pli­naire. » (pp. 18–19).

S’appuyant sur de nom­breux pen­seurs – dont La Boé­tie, Toc­que­ville, Dos­toïevski, Michel Fou­cault, Carl Schmitt -, Mathieu Slama démonte le méca­nisme de la nou­velle ser­vi­tude volon­taire née, selon lui, des habi­tudes que le “mana­ge­ment“ a fait prendre, ces der­nières décen­nies, à tous ceux qui font par­tie du monde de l’entreprise, et de “l’idéologie du safe“ (ce der­nier concept réunis­sant des ten­dances qui vont de l’hygiénisme au wokisme).
Qu’on soit d’accord ou pas avec cette expli­ca­tion du phé­no­mène, peu importe : l’argumentation de l’auteur est cap­ti­vante, sou­vent savou­reuse et tou­jours sou­cieuse de nuances ; la rigueur de ses ana­lyses va de pair avec une écri­ture lim­pide et alerte, qui fait que l’ouvrage se lit d’une traite.

Para­doxa­le­ment, les constats que fait Slama sur l’état actuel de notre société et de notre vie poli­tique sont d’autant plus acca­blants que l’auteur est impar­tial (bien malin qui pour­rait l’associer à une ten­dance poli­tique autre que la défense des liber­tés publiques), modéré et dési­reux de gar­der un cer­tain espoir.
Tout lec­teur peut trou­ver dans ce livre matière à réflexion fer­tile, qu’il soit par­ti­san du “pass sani­taire“ ou réfractaire.

agathe de lastyns 

Mathieu Slama, Adieu la liberté, éd. Presses de la Cité, jan­vier 2022, 254 p. – 20,00 €.

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