Edith Wharton, Les New-Yorkaises

Entre puri­ta­nisme et cynisme

Après Le temps de l’innocence (1921) où Edith Whar­ton s’en pre­nait déjà à la haute société new-yorkaise au début du 19ème siècle, Les New-Yorkaises (1927) pro­pose de nou­veau, sur fond du mariage qui s’écroule, une saga fami­liale, sen­ti­men­tale et sociale des plus déca­pantes.
Cen­trée au cœur de la noblesse new-yorkaise sur la famille Man­ford et en par­ti­cu­lier sur la mère, Pau­line, l’histoire pré­sente sur un ton caus­tique les déboires pri­me­sau­tiers d’une femme hyper­ac­tive aux bords de la crise de nerfs qui passe le plus clair de son temps à le perdre en d’obscures occu­pa­tions toutes plus futiles les unes que les autres. Le déli­te­ment qui s’empare peu à peu ici de la struc­ture fami­liale pré­fi­gure l’irréversible perte de pou­voir des classes domi­nantes face aux nou­velles mœurs.

L’humour féroce de l’auteure lui per­met de dépeindre de façon enle­vée et sati­rique les tra­vers d’une femme à l’agitation fré­né­tique, inca­pable de res­ter seule avec elle-même au cours d’une heure vide dans son emploi du temps sur­chargé en per­ma­nence et qui incarne la névrose freu­dienne par excel­lence.
Quand elle n’est pas en train de pla­ni­fier des sou­pers brillants ou de pré­pa­rer un dis­cours pour une Ligue ou un Comité qu’elle pré­side (alors que leurs chartes res­pec­tives sont expli­ci­te­ment anti­no­miques), elle pense pou­voir trou­ver l’apaisement grâce au der­nier maître spi­ri­tuel en vogue qui ne fait que ponc­tion­ner son argent.

Mais, entou­rée par son mari avo­cat, Dex­ter, ayant perdu le sens de l’existence, par sa fille Mona, fort pers­pi­cace, qui étouffe dans ce milieu conven­tion­nel, par son ancien époux alcoo­lique, Spé­ci­men A, et par sa belle-fille Lita dont le charme fait des ravages par­tout où elle passe et com­pro­met, par la menace du divorce, l’équilibre fac­tice des Man­ford entre puri­ta­nisme et cynisme, Pau­line la maî­tresse de mai­son aussi exem­plaire qu’autosatisfaite, écar­te­lée entre ses récep­tions mon­daines, ses asso­cia­tions cari­ta­tives et ses séances de médi­ta­tion, n’incarne jamais que le vide par excellence.

Avec sa finesse sur la psy­cho­lo­gie humaine, Edith Whar­ton n’a pas son pareil, la chose est enten­due, pour mettre en place, à l’appui des non-dits et des dés­illu­sions qui sont légion, des situa­tions et des per­son­nages qui nous parlent, y com­pris depuis le New-York des années folles où les appa­rences doivent être reines.
Même si on peut lui repro­cher une fin par trop pré­ci­pi­tée, son récit moderne — qui a le mérite d’ailleurs de mettre des femmes mani­pu­lant des mes­sieurs au pre­mier plan — se dédouble ici, outre les tri­bu­la­tions à la ville puis à la cam­pagne de ses pro­ta­go­nistes cari­ca­tu­raux, d’une réflexion intem­po­relle sur le prin­cipe de réa­lité : par-delà les men­songes et tra­hi­sons qui menacent de toutes parts au milieu d’un société amé­ri­caine elle-même en pleine évo­lu­tion, Les New-Yorkaises pose en effet que l’argent n’achète pas tout et qu’il ne suf­fit pas de nier une dif­fi­culté pour la faire disparaître.

Ainsi le jazz et la danse, quand bien même enfié­vrés, ou encore le cinéma hol­ly­woo­dien conqué­rant ne sauraient-ils occul­ter le monde réel où il importe de (savoir) vivre et où la clair­voyance se paie sou­vent d’une forme –quasi mona­cale — de solitude.

feuille­ter le livre

fré­dé­ric grolleau

Edith Whar­ton, Les New-Yorkaises (Twi­light sleep),tra­duc­tion (Anglais) : Jean Pavans, J’ai lu, jan­vier 2022, 320 p. — 7,60 €.

 

Leave a Comment

Filed under Poches

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>