Nouvelle “couleur” de l’identité
Il est des idées noires qui portent la lumière même si la narratrice est tombée dans les premières sans s’en apercevoir. Noire, elle l’était mais s’en rend “seulement” compte lors d’un message laissé par un journaliste.
Il invite la narratrice à la radio pour témoigner du racisme dont elle est victime. Assommée par cet appel, elle retourne se coucher.
“Vous vous réveillez un matin, vous êtes noire” : la pilule est dure à avaler pour celle qui ne s’est jamais sentie différente. La voilà au moins métisse, née de père haïtien mais depuis longtemps exilé en France.
Soudain, elle se souvient de ce qui n’a existé pour elle que par transmission : le souvenir de Sissi, une formidable grand-mère et l’île “étonnamment vivante et morte. Jamais vous n’irez là-bas.”
Mais la voici devant le miroir devenue “Black”. Et de plus en plus sans que personne jusque là l’en ait prévenue… Pourquoi ne s’est-elle jamais vue noire auparavant ?
C’est une impression que beaucoup d’émigrées qui vivent dans un monde blanc éprouvent souvent.
A partir de là, la narratrice entame une quête aux apparences absurdes, souvent irrésistibles. En revisitant son histoire manquée avec Haïti, elle se sent soudainement concernée par lui.
Et cette petite pièce rapportée se met à désirer ce qu’il y a de plus “laid” dans l’identité — à savoir cette noirceur. Mais à partir de là elle reconstruit une histoire familiale perdue dont elle complète les “blancs”( si l’on peut dire) par son imaginaire et ce, même si des trous resteront à jamais béants et malgré un drôle de voyage à Miami et un aller-retour en Haïti.
Ce texte est génial, car il ramène à une essentialité là où l’identité prend une nouvelle “couleur” et où l’oeuvre est toute entière marquée par la recherche et le rêve d’un Paradis premier fait d’harmonie des couleurs et des formes.
Elles appartiennent enfin à la narratrice abasourdie.
jean-paul gavard-perret
Laure Gouraige, Les Idées noires, P.O.L Editeur, Paris, parution 2022, 190 p.