Aux sources de la littérature hébraïque moderne
Rachel, nom d’écrivain choisi par Rachel Blaustein en écho de la femme de Jacob, est née en 1890 en Russie. Attentive à l’écrivain humaniste Vladimir Korolenko qui combat l’antisémitisme, à quinze ans, elle écrit des poèmes en russe puis connaît plusieurs exils en Russie. En 1909, elle découvre la Palestine.
Fascinée par le lieu ancestral, elle apprend l’hébreu, et renonce à parler en russe comme à revenir en Russie.
Aharon David Gordon devient son guide spirituel. Espérant en vain être admise à l’Académie des Beaux-Arts Betsalel de Jérusalem, elle gagne la France où elle entreprend des études universitaires d’agronomie. Elle rencontre Michaël Braunstein qui occupera une place importante dans sa vie sentimentale. Mais dès 1916 des premiers symptômes de la tuberculose apparaissent. Renonçant à devenir peintre, elle vit alors à Odessa auprès de sa famille, traduit des poèmes de Bialik et écrit ses souvenirs sur la vie à Tibériade.
Plus tard, de retour en Palestine, elle travailla la terre en un kibboutz près du lac de Tibériade. Elle s’affaiblit et risquant de contaminer les autres membres elle doit partir. Contrainte à vivre à Tel-Aviv, ne lui reste que sa vocation de poète. Elle vit dans la pauvreté avant de rejoindre un sanatorium où elle meurt à quarante ans.
Considérée comme la fondatrice de la littérature hébraïque moderne, elle est surtout connue pour trois recueils de poésie, “Regain”, “De loin” et “Nébo”. Mais elle a aussi écrit vingt et un articles, essentiellement littéraires, en hébreu. Ils sont réunis ici sous le titre Sur les rives de Tibériade (seul article du corpus à être écrit en Russe) et offrent un visage méconnu de l’auteure. Ils sont accompagnés de 30 poèmes épars et quatre lettres écrites de France lors de ses études.
Rachel ne cesse de s’interroger sur l’arrogance destructrice des hommes et ce, au nom de la puissance d’une réflexion tirée des profondeurs du passé.
Par-delà les gouffres, Rachel ne cessa de lutter et de croire à une insurrection intérieure des êtres face à tout ce et ceux qui emprisonnent l’élan de l’existence. D’où l’importance de cet ensemble.
Se découvre une voix fraternelle et habitée faite d’écoute et d’un lyrisme discret.
Entre tourments et volonté perdure “un contact humain à travers l’humain”. Sur les rives de Tibériade, Rachel ne cesse d’aspirer — parfois avec extase — à ce qui fait le prix de la vie et qui échappe à toute monnaie de singe.
jean-paul gavard-perret
Rachel, Sur les rives de Tibériade, traduit et présenté par Bernard Grasset, Arfuyen, Orbey, 2021, 190 p. — 17,00 €.