C’est par une nuit inaugurale que Jean-Paul Michel eut une révélation « Frikes, Ithaque, 01.08.96, sur le balcon de fer (environ 4 h-5h de la nuit) ». En émane une prose brisée.
Elle devient le poème d’un genre particulier et philosophique. L’auteur développe l’idée que le cri est chose et signe.
La poésie touche désormais à la langue plus forte que celle des parlants qui y forment le monde. Le cri n’est pas l’idiome qui trame, rend socialement habitable. Il touche à une autre réalité, à une autre articulation.
Sa fiction, sa construction façonnent une autre nomenclature des “parlêtres”. Cet idiome des profondeurs prouve que l’être des organismes machiniques est assigné au biologique et qu’importent les relations socialement articulées.
Bref, le cri vaut toutes les répliques narratives des déclarations d’opinions, ornements rhétoriques, pseudo-suppléments d’âme. Aux “mots puisque vous êtes, parlez” s’oppose par le cri un saut qui casse le silence de la nuit.
C’est le poids ou se sonne la voix première hors de toute mesure. S’entend alors ce que Michel nomme “éploi”, là où se lèche ce qui est contenu, se déploie.
Ce qui est jusque là était retenu donne l’ouverture la plus large à la clôture. La voix atteint alors ce qui se tient en-dessous du langage mais qui vide le sens retenu.
La présence de l’être dans une immédiateté trouve dans le cri ce que la langue ne dit pas et que Lacan nomma “lalangue” entre retrait et trajet irrépressible.
Michel double le sens — ce qu’Artaud avait déjà compris. Tout — dans une nudité désarticulée, dans une culmination — exprime la vérité du vertige que le langage articulé cache.
jean-paul gavard-perret
Jean-Paul Michel, Un cri, chose et signe, traduction anglaise et postface de Michael Bishop, éditions VVV, 2021, non paginé.