Les textes qui forment le cahier Expérience ont été conçus pour la publication virtuelle sur la Toile. Ils sont donc un exercice de la vélocité, au présent. Cela n’enlève en rien le travail de reconstruction du livret depuis le manuscrit, réservé exclusivement au Web. J’ai pensé que cette aventure littéraire en ligne se rapprocherait peut-être de l’écriture de Pacific 231, sorte de calque de la musique savante sur un objet de la modernité, ici dans le sens inverse, créée pour, vers une technologie comme support.
Je travaille donc au fur et à mesure pour livrer ces textes, qui sont des points de vue parfois abstraits sur ma connaissance du monde.
Quand je suis dans cette ténèbre, je ne me rappelle rien de l’humanité ou du Dieu-homme,
ni de quelque chose qui ait une forme.
Angèle de Foligno
1.-
Un état de moi-même. Une vie dans l’art. Un souffle plus grand que moi.
L’art est un hôte. Une espèce de visiteur. Il partage son secret, cette énigme dont il ne sait rien. Il va. Autant vers la nuit que vers le clair. Il est une somme.
Une vérité arbitraire et universelle. Nullement propre aux réalités. Il préfère l’enclos, la closerie de ses étincelles.
Art as expérience.
Comprendre l’art. En faire l’expérience esthétique.
En tout cas un accord devant la mise au jour — mise à la nuit. Inquiet arrangement. Et de ce fait devant l’œuvre. Relation imagière. Rapport. Contiguïté.
Ce carnet n’est pas le temps. Il s’inscrit dans la durée d’un vécu, ainsi que d’un re-vécu, d’une exhumation. Échappant à la fiction du temps, il devient une fiction tout court.
Mais pour cela, il doit mourir, disparaître, se défaire de lui-même. C’est ce livre qui en est la preuve.
Là un monde totalement meuble, agité par sa profondeur, par sa luminosité directe ou obscure. Je ne cesse d’ailleurs d’en finir à chaque mot, poussé davantage par l’idée de ce que pourrait être un ultime point de fuite, horizon — dans sa matérialité, fuite et but sans fin.
2.-
Je ne sais comment se figer, se fixer au sein d’un objet écrit.
Le carnet brûle en un sens, me brûle et me pousse à l’inexistence, c’est-à-dire qu’il m’efface. J’y suis absent pour l’éternité.
Et ce feu, cette coruscation est le bien élémentaire de toute réflexion a posteriori, sur l’événement de l’écriture, laquelle comme tout feu, se consume en sa propre mort.
Est-ce différent de la destruction où par nature on se déconstruit, on se défait, on meurt ?
L’être est une fiction, être de papier supérieur à l’être de chair, lequel ne se définit qu’en lui, avec la vigueur d’une idée, d’un principe, de cet adage connu : to be or not to be.
La présence de la pensée va de soi pour celui qui empiriquement se situe dans un sujet pensant, et ce faisant devient volatil, s’exprime pour seule intervention dans la réalité. De cela l’aspect du vide, un monde où tout est infini, mort infinie, chair infinie, esprit infini, chacun avec son propre infini, son lieu sans finalité, devenant une évidence conceptuelle.
Imprécision de ce qui est informel, et avec elle le signe que l’on atteint à la racine de l’être, car toutes les voies, tous les véhicules sont bons à parvenir à étoffer cette notion, ces éclairs de clarté imprécis, cette vue de soi comme fantôme.
Transmission complexe de la durée nourricière.
Fluidité.
Didier Ayres