Louise Labé, Oeuvres complètes

Contre la gram­maire impé­ra­tive du sexe

Née à Lyon vers 1524, d’une famille de riches cor­diers, Louise Labé reçoit une édu­ca­tion à l’italienne qui fait d’elle le sym­bole de la nou­velle culture de la Renais­sance.
Entre pla­to­nisme et mon­da­nité, elle est, avec Per­nette du Guillet une des figures légen­daires de l’école lyonnaise.

D’une cer­taine manière, pour, elle la poé­sie est déli­cieu­se­ment et pro­fon­dé­ment “inutile”. Elle en connaît néan­moins l’essentiel : écrire touche à la langue.
Et celle-ci forme le monde, le rend socia­le­ment habi­table, entre autres en ins­ti­tuant une grâce à l’amour.

A une réa­lité tri­viale, Louise Labé oppose sa poé­tique : non une construc­tion ima­gi­naire mais un autre type de façon­ne­ment du monde plus juste.
Rien de plus utile que cette poé­sie : elle déclive les femmes et les hommes et leur sert à être ce qu’ils sont dans une sorte de légè­reté mais aussi une pro­fon­deur afin qu’ils ne soient pas que des orga­nismes machi­niques réduits au pragma biologique.

Certes, ces poèmes ne façonnent rien d’inouï. Mais ils ont beau­coup d’intérêt dans l’avancée et le polis­sage de la société et de la poé­sie.
Chez Labé, les orne­ments rhé­to­riques repré­sentent bien plus que des pseudo-suppléments d’âme.

Certains des­sinent des écarts vio­lents avec le com­mun poé­tique de l’époque et ouvrent du même coup le monde . Ils indiquent qu’il existe d’autres pos­si­bi­li­tés que la ver­sion qu’en donnent les dis­cours qui pré­tendent sou­mettre à leur loi une morale et une poli­tique qui, pour la poé­tesse, n’étaient plus de sai­son.
Louise Labé creuse l’exception que cha­cun peut être. Elle donne aussi accès à de nou­veaux codes par sa trouée dans la pen­sée maté­ria­liste comme dans la théo­lo­gie. Elle est, en ce sens, une des pre­mières pré­cieuses (en rien ridi­cules) qui résiste au mâle dis­cours des clas­siques. Elle intro­duit ses vagues de rêves contre la rai­son cas­tra­trice. Une fémi­nité du monde se crée en ouvrant aux êtres des chances de liberté.

Contre une cer­taine obs­cé­nité phal­lique et ver­na­cu­laire, Louise Labé “conta­mina” les hommes de manière non maligne mais sans puri­ta­nisme. La mon­daine fit réson­ner dans la langue fran­çaise quelque chose de la dis­si­dence poé­tique en une volonté d’ouvrir le monde, d’en fis­su­rer le mur de repré­sen­ta­tions.
Le tout dans la fonc­tion subli­mante de l’effort poé­tique. Il s’affaire à trai­ter d’un cer­tain malaise dans la civi­li­sa­tion de l’époque et des excès d’une sexua­lité animale.

Contre la dic­tée bio­lo­gique et contre la gram­maire impé­ra­tive du sexe, Louise Labé pré­fère celle de la langue mater­nelle nour­rie de ses apports trans­al­pins.
D’où ce chant sou­ve­rain propre à rapié­cer des mondes en lam­beaux au for­ma­lisme exsangue.

jean-paul gavard-perret

Louise Labé, Oeuvres com­plètes, édi­tion de Mireille Huchon, Biblio­thèque de la Pléiade, Gal­li­mard, octobre 2021, 736 p.

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