Psychologue clinicienne, Juliette Brevilliero ne quitte jamais la poésie pour dériver dans un territoire sensoriel et sensuel. “La femme livre” poursuit ce qu’avait initié “Chair papier”. Et si en poésie souvent l’adjectif est une bourre verbale, dans celle de la créatrice elle devient une nécessaire ingérence pour peaufiner avec virtuosité les jeux de sens où l’auteure, plutôt que mitonner dans l’ego, se multiplie dans une polymorphie.
L’inouï des instants, des êtres et des histoires prouve que l’inracontable peut se raconter dans un jeu où “la boîte à musique effrontée/ diabolise la ritournelle effritée” que la créatrice fait bien plus que ravauder.
Juliette Brevilliero, dans sa magie verbale, sait traduire ce qui tue comme ce qui fait vivre. Dans le premier cas, elle sait même le transformer. Pour preuve “L’aboulie abolit l’élan, hédoniste / que l’anhédonie anesthésie, égoïste” transforme la dépression, l’exorcise dans cette fête des mots qui troue l’abstraction froide et clinique.
Signe que même les mots rares, quoiqu’ils soient trop mots et trop rares pour écrire l’ineffable”, arrivent parfois à traduire l’intraduisible là là la poétesse inocule par la magie verbale une forme de légèreté tant le lecteur prend du plaisir à les ressasser.
Ils deviennent donc une thérapie au seins des aléas du réel que l’auteur percute et fractionne. Elle laisse monter sa voix multiple, tisse au besoin les chemins de l’absence. Si les limaces y laissent une trace, la créatrice y creuse des terriers.
Et si quelqu’un voulait lui retirer la langue, elle ne cesse de la tirer pour créer des visions qui dansent. C’est comme si l’intruse brouillait les cartes souvent distribuées non sans tricheries par les hommes pour en garder l’atout.
Déduisant le présent non du passé mais du futur par ses inventions sonores et verbales, elle supplée les silences. Une théorie poétique en acte germe tandis qu’au fil des ans Juliette Brevilliero impose sa présence et engendre des trous de la langue admise pour proposer celle qui célèbre non les princes mais les princesses.
Ce sont elles qui viennent réveiller les premiers.
lire notre entretien avec l’auteure
jean-paul gavard-perret
Juliette Brevilliero, Les Mots rares, éditions Galilée, Paris, septembre 2021, 88 p. — 10, €.