Le processus de création a ouvert une rêverie en écritures croisées autour du thème de la relation mère et fille…
Le spectacle Elles* est le premier volet du triptyque Absences, cycle de trois spectacles qui seront mis en scène par Sylvie Joco.
Pour ce premier volet, le processus de création a ouvert une rêverie en écritures croisées autour du thème de la relation mère et fille : amours, désamours, peur de perdre, haine féroce, jalousie sourde, manques, rancunes, nostalgies, tendresses…
Plusieurs artistes de diverses nationalités, vivant en France, aux Etats-Unis ou en Martinique y ont participé avec l’art qu’ils pratiquent : trois auteurs, une metteur en scène, une comédienne, un musicien, une scénographe costumière et un éclairagiste…
Le fruit de ce travail : un spectacle mêlant paroles, musique et mouvement.
Dans un espace hors du temps, habité d’instruments peaux, ferrailles, bois, cailloux, deux personnages (la comédienne et le musicien) vont inventer leur propre rituel pour faire venir et parler des mères, des filles, des “Elles”…
Rue de Ménilmontant, je rejoins Sylvie Joco, metteur en scène du spectacle Elles, qui se jouera du 7 au 29 juillet à la Chapelle du Verbe Incarné lors du Festival off d’Avignon. Le lieu choisi par Sylvie est un petit restaurant près de la salle de répétition de la rue Boyer où je la retrouve avec le musicien du spectacle, Dousty Dos Santos. Accueillie à bras ouverts, le sourire aux lèvres et la voix chantante de Dousty, le rire clair et sonore de Sylvie. Je n’ai plus qu’à me poser au creux de ce nid, à cette tablée engageante, pour y commencer mon interview, à voix feutrées, entre deux bouchées de pommes de terre grillées et trois poignées de graines de soja.
Le spectacle Elles fait partie d’un triptyque, un triptyque des “absences” dont c’est le premier volet. Pourquoi un triptyque et pourquoi ce premier thème des “absences” ?
Sylvie Joco :
Le triptyque se décline autour du thème Absences déjà parce que c’est une problématique qui m’interpelle. Tout ce qui relève du manque, des choses qui s’en vont, des êtres qui s’en vont, des changements d’états qu’on peut avoir dans sa vie. Ça m’intéresse de dire ces creux, ces vides, ces gouffres. Et comme pour moi il y a plusieurs manières d’en parler, un spectacle ne suffisait pas (rire), voila. J’ai trois directions autour de ce thème d’Absences, il y aura donc trois spectacles. J’ai appelé ça un triptyque, qui est plutôt un terme plastique parce qu’en général au théâtre on dit trilogie, car il y a aussi une recherche au niveau du travail théâtral lui-même. Il s’agit d’inventer des atmosphère qui vont créer des impressions plutôt que d’aller “tacler” chez le spectateur son intellect : tout n’est pas centré sur le texte, Il s’agit vraiment d’essayer de créer un lieu, un espace, où on aie aussi des impressions qui relèvent de ce que l’on peut avoir devant un tableau. Alors ça ne donne pas un théâtre figé, bien sûr, ce n’est pas une succession de tableaux, mais quelque chose qui serait de l’ordre des impressions, des sensations, …Quelque chose qui va aller davantage vers le sensoriel que vers le rationnel ou l’intellectuel. Le premier volet, quant à lui, est concentré sur la relation mère et fille, et donc tout ce qu’il y a comme problématique de manques et d’absences, présences/absences, autour de cette relation d’amour et de haine entre les mères et les filles.
Comment s’est organisé le processus d’écriture à trois voix, entre Gerty Dambury, Maria-Luisa Ruiz et A20 ?
En effet, il y a trois auteurs que j’ai convoqués autour de cette rêverie sur la relation mère et fille. Au départ j’ai discuté avec chacun, de ce que m’inspirait ce thème pour moi relié à la problématique de l’absence. Mais en réalité très peu. Je n’ai pas voulu trop bloquer leur propre imaginaire. Ensuite, comme nous n’habitons pas tous au même endroit : il y a un auteur qui habite en France, deux aux Etats-Unis et moi-même qui vit en Martinique ; nous avons essentiellement communiqué par le biais d’Internet, donc par écrit. Je leur ai envoyé ce que j’ai appelé “des consignes”, qui reprend le terme des consignes des ateliers d’écriture, où je leur proposais des situations de mères qui parlent à leurs filles ou inversement, avec une écriture en “je”, pour qu’à un moment cela puisse se restituer au théâtre dans une dynamique de monologue. Donc, quelqu’un qui parle « de » ou qui parle « à », pour que cela ne s’éloigne pas trop de l’écriture dont on peut avoir besoin au théâtre, puisque ce sont des personnages qui vont devoir s’exprimer.
Au fil du temps ils m’ont renvoyé leurs textes, nous en avons retravaillé certains, j’en ai gardé d’autres comme ils étaient. Et petit à petit ça c’est construit comme ça. Il y a eu, au deux tiers du cheminement, un travail collectif, contrairement au départ où j’étais vraiment en relation duelle avec chaque auteur, nous nous sommes alors rencontrés tous les quatre. Là nous avons travaillé sur une partie du texte, en brain storming pendant quatre à cinq jours. Certains ont écrit, nous nous sommes lu les écrits, et voila, nous nous sommes quittés sur ça. Par la suite, d’autres consignes sont venues s’ajouter et cela a évidemment un peu modifié le rapport, et la toile d’araignée. Le réseau tissé de communications s’est ouvert puisque les auteurs ont commencé aussi à communiquer entre eux.
Au bout du bout, je me suis retrouvée avec toute cette matière que les auteurs m’ont offerte, et il a fallu que je fasse un montage des textes. En réalité le montage et les consignes se sont inspirés d’un travail que je menais en parallèle avec la comédienne et le musicien sur la mise en espace d’un rituel qui ferait venir des “Elles” : ce sont des mères et des filles qui viennent parler de leur relation.
Les textes ont précisé les différentes “voix appelées”, donc est-ce la naissance de ces thèmes dans le texte qui a provoqué chez toi l’idée de créer un duo homme/femme, musicien/comédienne ? À quel moment est-ce venu se préciser et sur quelle base d’idées ?
Au départ pour moi, il y avait deux femmes. Une musicienne et une comédienne, il y avait déjà un croisement d’écriture à mon sens, une écriture dramatique avec une comédienne qui joue, qui amène sa créativité ; et la musique qui vient croiser cette créativité autour des monologues qui ont été écrits pour elle.
Pourquoi un homme ? C’est venu interroger aussi l’équilibre, ce dont on parle. Parce que dans la relation mère et fille pour moi, on oublie par moment le tiers, qui est le père. Et ça me semblait important aussi parce que la musique me paraissait être quelque chose qui peut faire Loi, qui rythme, qui construit aussi le spectacle et l’œuvre. Parce que ça écrit quelque chose qui est très rigoureux, parce que la rythmique cadre vraiment. Donc pour moi la musique était le principe masculin, et que ce soit un homme ne m’a pas dérangé aussi parce que cela m’a permis finalement de pouvoir faire venir un personnage de père dans cette histoire de relation mère et fille.
Les répétitions pour la première création en Guadeloupe ont permis d’approfondir le jeu scénique, quels ont été les fils d’Ariane que tu as mis en avant ? Quelles ont été tes principales orientations pour le jeu d’acteur ?
Je dirais que le changement pour nous, à partir du travail en Guadeloupe, a été de pouvoir réaliser la scénographie.
C’est vrai que l’on avait déjà abordé plusieurs fois tout ce travail autour du jeu de l’acteur, de la mise en scène elle-même, c’est-à-dire de la mise en place dans l’espace, du traitement de l’espace, et du croisement musique /jeu. Avec la comédienne Nathalie Vairac et Dousty Dos Santos, le musicien, on a travaillé depuis novembre 2004. Lors d’une rencontre de quelques jours on a fait des improvisations, pour chercher des sonorités, créer une rencontre physique à l’intérieur de l’espace entre la comédienne et le musicien.
Ensuite il y a eu une autre étape de travail au printemps 2005 à Paris, là on a travaillé trois semaines autour d’improvisations sur la problématique mère et fille mais davantage dans des espaces abstraits, qui sont pour moi le chaos et l’harmonie. A ce moment là aussi on a creusé cette recherche autour de l’espace et du “comment la musique et le jeu peuvent se croiser”. Le musicien n’est pas comédien au départ donc il a fait un chemin pour devenir comédien et la comédienne n’est pas musicienne et elle a fait à son tour un chemin vers la musicalité au théâtre.
Donc il y a eu tout ce travail, cette rencontre entre eux deux, autour de ça. Entre temps, j’ai fini le montage du texte, je leur ai présenté en décembre 2005. Il faut dire que la scénographe était présente dès le printemps 2005, donc on avait déjà commencé à travailler ensemble sur l’espace, son organisation, les matières, les couleurs… etc. Puis on a repris le travail en février pour préparer le montage du spectacle à proprement dit en fonction de notre deadline en Guadeloupe ou nous devions jouer le 24 et le 25 mars. Nous allions donc arriver au bout de ce travail de recherche.
Concernant la réalisation des décors, je crois que certains choix se sont également imposés à toi pour leur sens, le côté “blanc” non chargé, non daté, non typé ? Peux-tu m’en dire plus sur ce qui a motivé cette orientation “minimaliste” et à la fois moderne ?
Dire des identités du monde est une problématique qui m’intéresse. Ce spectacle je le monte depuis ma Caraïbe, qui est un espace qui m’intéresse et qui m’inspire : la Caraïbe rassemble toutes les cultures du monde, les gens cohabitent dans des espaces qui sont très petits, qui sont des îles, donc il y a une densité de croisements, d’identités et de patchwork parce qu’ils vivent les uns à côtés des autres, ils ne se désintègrent pas non plus et c’est ça qui m’intéresse dans l’image du patchwork : ce sont ces petits “carrés” liés les uns aux autres.
Et puis, au fil du travail, parce que j’ai eu la chance de travailler avec Catherine Calixte, qui est une scénographe qui va vers l’épuration, parce que dans mes recherches je pars avec beaucoup de matière et que peu à peu j’épure, comme d’ailleurs on l’a fait avec la musique : nous étions partis avec beaucoup d’instruments et peu à peu des choix se sont faits. Tout comme aussi avec le montage de textes présenté en décembre que l’on a retravaillé dans ce sens au fil des répétitions. On s’est donc aperçu qu’il serait peut être plus pertinent d’induire cette idée du patchwork avec du blanc, que chaque spectateur puisse projeter son propre patchwork sur cet espace blanc.
Dans le même ordre d’idée, on a aussi hésité entre un espace qui serait concret, réaliste, et un espace plutôt de l’ordre d’un espace mental, comme dit la scénographe. Le blanc favorisant davantage encore cet espace mental que nous avons finalement choisi.
karol letourneux
* Elles
Premier volet du triptyque Absences
Textes :
A20, Gerty Dambury et Maria-Luisa Ruiz
Montage des textes et mise en scène :
Sylvie Joco
Avec :
Dousty Dos Santos et Nathalie Vairac
Musique :
Dousty Dos Santos
Scénographie et costumes :
Catherine Calixte
Réalisation costumes :
Agathe Laemmel
Lumière :
José Cloquell
Régie :
José Cloquell et Bastien Courthieu
Coproduction :
Cie L’Instant Présent et l’Artchipel Scène Nationale Guadeloupe
Propos recueillis le 22 juin 2006