Marin Ledun, La vie en rose

Quelle belle héroïne !

Avec une tru­cu­lence qui n’est plus à démon­trer, le roman­cier brosse un por­trait ori­gi­nal d’une fra­trie, de son envi­ron­ne­ment, de son fonc­tion­ne­ment, dans une ravis­sante cité de pro­vince (Dans un Ter­ri­toire, plu­tôt, selon la nou­velle appel­la­tion offi­cielle !). Il com­pose une suite de per­son­nages par­ti­cu­liè­re­ment étu­diés, aux pro­fils fouillés. Les situa­tions dans les­quelles les place l’auteur sont tout à fait réa­listes mais il sait en extraire l’aspect amu­sant, comique.
Autour de ces pro­ta­go­nistes hauts en cou­leur, il déve­loppe une intrigue sub­tile et retorse que l’héroïne va s’employer à résoudre avec brio, mais non sans peine.

Autour de Rose, Marin Ledun a com­posé une famille sin­gu­lière. Outre les parents, elle infir­mière aux Urgences, lui clerc de notaire, il y a six enfants dont les trois der­niers, d’origine colom­bienne, ont été adop­tés. Un bou­vier ber­nois de quarante-cinq kilos et deux chats com­plètent la tribu. Rose est la troi­sième après deux aînés qui sont enseignant-chercheurs.

Parce que Charles a été recalé pour la troi­sième année consé­cu­tive au concours de notaire, qu’il déprime, Adé­laïde, son épouse, décide d’un séjour de trois semaines en Poly­né­sie fran­çaise. Elle confie sa famille à Rose, sa fille de vingt-deux ans. C’était samedi qu’elle a embrassé ses parents à l’aéroport Saint Exu­péry. Ce mardi, Rose est sur le siège des toi­lettes, pleu­rant toutes les larmes de son corps, tenant un test de grossesse…positif. Quand elle sort enfin des WC pour lais­ser la place à Camille, sa sœur, Vanessa lui télé­phone. Son salon de coif­fure a été cam­briolé. Outre un fond de caisse, quelques usten­siles de coif­fure, peu de choses ont dis­paru. En aidant à remettre de l’ordre Rose, qui habi­tuel­le­ment offi­cie dans les lieux comme atta­chée cultu­relle, s’aperçoit que presque tous les romans d’Harry Crews ont dis­paru.
Camille fait alors une entrée fra­cas­sante dans le salon. Elle est en pleurs car Natha­naël, un gar­çon avec qui elle est sor­tie il y a un an, mais qu’elle a pla­qué, a été assas­siné. Rose trouve que pour son pre­mier mardi de char­gée de famille cela fait beau­coup : un bébé sur­prise, un cam­brio­lage, un meurtre et sa sœur éplo­rée… Mais quand Rose se lance sur la piste du cam­brio­leur ama­teur de polars, la peur s’abat sur le lycée de Camille… qui disparaît…

Le roman­cier mul­ti­plie les réfé­rences ciné­ma­to­gra­phiques, musi­cales, lit­té­raires mais pri­vi­lé­gie tou­te­fois les polars, citant nombre de titres, d’auteurs qui comptent dans le genre et fait des com­pa­rai­sons, des rap­pro­che­ments drôles. Il fait preuve aussi d’une belle culture et d’une connais­sance appro­fon­die de ces arts. Il fait de son héroïne une jeune femme déto­nante, libre de ses opi­nions, de ses mou­ve­ments tout en étant très proche de ceux qui lui sont chers.
Il dresse un pané­gy­rique tou­chant pour les mères de famille quand il fait faire le por­trait d’Adélaïde par sa fille. Ne man­quez pas la page 51 où un mor­ceau d’anthologie recon­naît les immenses qua­li­tés de ces femmes.

La vie en rose est un de ces romans mul­tiples qui se lit d’une traite pour connaître le dénoue­ment, tout en se réga­lant d’un humour tonique. Puis, il faut le reprendre pour une lec­ture apai­sée, pour dégus­ter toutes les remarques congrues, les traits d’humour mali­cieux, les des­crip­tions cocasses de situa­tions, la drô­le­rie des dia­logues…
Bref, pour sai­sir toute la richesse de ce récit qui mérite ample­ment le Prix Arsène Lupin 2019.

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serge per­raud

Marin Ledun, La vie en rose, J’Ai Lu n° 12 975, coll. “Thril­ler”, mars 2021, 320 p. – 8,10 €.

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Filed under Chapeau bas, Pôle noir / Thriller

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