Didier Ayres, Cahier, “Fragment XVIII ou L’art”

LCahier est issu d’un moment d’écriture qui a pour sup­port un cahier Conqué­rant de 90 pages à petits car­reaux; il est manus­crit jusqu’au moment où je l’écris de nou­veau , cette fois-ci sous la forme d’un texte.
J’y prône la pos­si­bi­lité don­née à l’écrivain de, tout en par­lant de lui, tenir un dis­cours pour autrui.
J’aime la forme “je”, qui a des prin­cipes d’identification aux­quels je prête foi.

Frag­ment XVIII ou L’art

Je ne dépar­tage pas la pres­sion d’écrire, de ce qu’elle témoigne. Ici, de la dif­fi­culté.
L’art se caractérise-t-il par la pos­si­bi­lité qu’il a de conte­nir l’objet réel qu’il absorbe, et d’une aug­men­ta­tion sans cal­cul de la chose écrite, qui dépasse le simu­lacre de la mimétique ?

Le texte se signale par l’autonomie de son rap­port avec la réa­lité qu’il recouvre. Certes, c’est un tra­vail, mais l’artiste ignore le sur­plus de son écri­ture. De fait, c’est peut-être à la jonc­tion de deux phrases que se glisse l’ajout mys­té­rieux, secret en tout cas ignoré de l’écrivain.

Par ailleurs, le texte invente l’auteur. On voit l’auteur par ce qu’il écrit, et sa per­son­na­lité est plus claire dans la pro­fon­deur aveugle où le conduit son art, plu­tôt qu’au contact vrai de l’écrivain, lequel est un homme ou une femme qui tremble en lui, en elle, de la mort, de l’angoisse d’être.
Ainsi se repré­sente l’imago de cha­cun, à autrui, comme pour mieux retour­ner au tra­vail, au labeur d’artiste capable de lui redon­ner figure humaine.

Rien n’échappe à la vie. Cepen­dant, tout échappe dans la copie de la vie, et sa pré­sence dans l’art ne garan­tit pas que cet éclat vital soit pré­sent. Démon­trer un prin­cipe, même ici avec ce livre, faire tendre l’art vers la vie reste le plus dif­fi­cile.
La vie est essen­tiel­le­ment pleine d’altérité, d’inégalité, de gru­meaux, ce qui rend presque impos­sible l’égalité visuelle du monde. Faire venir la vie dans l’art est une cou­pure entre deux états : l’état meuble de la per­sonne humaine et l’immobilité du texte qui la représente.

Il me faut aussi détruire, brû­ler, lut­ter contre mon écri­ture qui d’année en année se désa­grège, devient illi­sible, ce qui sépare net­te­ment le temps du manus­crit d’avec le temps du livre. Car rien n’est fini.
La vie est un réser­voir sans fin. La nature elle aussi. Le monde spi­ri­tuel, éga­le­ment, est évanescent.

Des signes seuls ne suf­fisent pas. En vérité ils ne sont des idéo­grammes qu’une fois pour toute, don­nant le des­sin exact et éter­nel de l’instrument et de l’appareil de la réa­lité.
S’abandonner à sa sen­sa­tion de guet­ter l’inspiration, dans le tra­vail objec­tif de la page, est la plu­part du temps une satis­fac­tion de l’égo, mais reste inopé­rant pour le texte, car cette cha­leur de l’inspiration est bonne à res­sen­tir, mais bonne aussi à bif­fure et caviardage.

Didier Ayres

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