Le Cahier est issu d’un moment d’écriture qui a pour support un cahier Conquérant de 90 pages à petits carreaux; il est manuscrit jusqu’au moment où je l’écris de nouveau , cette fois-ci sous la forme d’un texte.
J’y prône la possibilité donnée à l’écrivain de, tout en parlant de lui, tenir un discours pour autrui.
J’aime la forme “je”, qui a des principes d’identification auxquels je prête foi.
Fragment IX ou Travail
Je ne néglige pas la force nécessaire pour aller et revenir de moi-même au cahier. Car j’ai la conviction que cela est utile. Que toutes les vérités possibles en découlent. Ce qui n’apparaît pas dans le livre, cette fragilité dont le livre ne témoigne pas, je crois qu’elle vient du besoin de l’hésitation, hésitation dont le lecteur s’empare. Car le travail ne doit surtout pas se faire sentir.
J’aime écrire. Chercher dans le vocabulaire l’épithète la plus simple, la plus commune, quitte à répéter des coordinations, des verbes. Cela me semble une géométrie, une grammaire musicale, et enfin un contact avec la force inouïe de l’algèbre. Je crois aussi que cette relation rationnelle avec la mathématique — et je fus un élève excellent pour obtenir une mention sur une suite vectorielle — débouche sur une exigence, sur le devoir de rester parfaitement logique.
Dois-je ici parler de « pensée-noire » ? Car la pensée, hors du travail de l’écriture qui n’est pas « matière noire », se manifeste comme épaisse, un sang dense, un vin extrêmement capiteux, morbide. Ainsi, mon étude trouve là les eaux susceptibles de porter mon écriture. Car l’embarcation du poème vogue sur des fleuves difficiles.
En un sens, naviguer permet de ne pas s’ensevelir sous l’angoisse. Je pense à l’insomnie et aux travaux brutaux qu’elle provoque. En elle, rien.
Parfois une idée, mais surtout le travail du cœur pris par la tachycardie, des pensées en cercles, l’adossement au mal.
Mais, cela forme le pan obscur dont le pan clair a besoin. La pensée-noire se comprend ainsi : arc-boutement de la beauté à souffrir. C’est pour cela que le travail de celui qui écrit reste si indéfinissable, ayant affaire avec les deux bouts d’une condition de l’être : taire et dire, ne pas taire et ne pas dire.
Comment dès lors ne pas trouver la citation « Être ou ne pas être : telle est la question (…) mourir, dormir ; dormir…rêver peut-être » ? Voilà le pan obscur du théâtre de notre monde.
Pensée-noire conçue comme pour aboutir à la littérature ; noirceur du péril de la vie de l’auteur, celle de ses terrifiantes visions parfois, l’inquiétude qui cesse temporairement au labeur de la page, l’impossible miction entre ce qui s’écrit et ce qui vient de l’écriture, où seul le sommeil, ce temps de ne pas être, garde pour moi l’aspect d’un lit dans la chambre compliquée de mon séjour terrestre.
didier ayres