Le Cahier est issu d’un moment d’écriture qui a pour support un cahier Conquérant de 90 pages à petits carreaux; il est manuscrit jusqu’au moment où je l’écris de nouveau , cette fois-ci sous la forme d’un texte.
J’y prône la possibilité donnée à l’écrivain de, tout en parlant de lui, tenir un discours pour autrui.
J’aime la forme “je”, qui a des principes d’identification auxquels je prête foi.
Fragment VI ou La solitude
Être solitaire. Ne dépendre que de soi-même. À l’exclusive. Un état connu par empirisme. Car on ne lui trouve aucune explication. Solitude qui devient solitude par tautologie. Pour cela elle délimite son envergure, son empan. Elle dépasse l’être pour le monde symbolique de l’immanence. Être en train d’être. Unique condition pour percevoir le retranchement, l’isolement et le recueillement.
Je me souviens souvent de la chimère, cet animal monstrueux que Baudelaire place sur le derrière du crâne de l’homme du spleen. Tout confine à rendre le corps absent en vue de celui de la chimère.
Cet abandon se nourrit de l’intérieur, sorte de guêpe du désert. De pompiles intériorisés.
Seul le bruit de l’univers change un peu la destinée de cet isolement en dedans de soi. Là l’angélus, ici le roucoulement d’une tourterelle, les corneilles, les conversations des passants dans ma rue, détruisant pour un millième la dure présence en cette tour d’ivoire.
Le travail de la guêpe consiste à effacer les conversations sourdes devant chez moi, faire exister le bruit d’une horloge, les battements de l’angélus, comme si ces sons étaient des proies, des araignées traversant la maison.
Jusqu’au moment où les signes disparaissent.
L’univers du livre est profondément solitaire. On lit seul, on écrit seul, on pense seul, on communique avec un auteur de sa solitude à la nôtre. Et pas tout à fait physiquement. Car on est toujours habité par le corps. Quand le cahier, le carnet ne cesse de redire de la présence, mais sous la tension ductile de cette retraite, de ce délaissement.
Cette sorte d’exil ne ment pas. Seul on se devine sans ombre, sans masque. Çà et là des espèces de fantômes, tout au plus. Qui existe en définitive ? Les mots peut-être. Solitude et mort.
À quoi on peut ajouter le silence. Même s’il est hanté par des bruits, cette unique sensation qui rompt avec la vie solitaire est du registre du bruit.
Comme ahanant à l’oreille de l’écrivain. Petit bourdonnement familier.
Sorte de tranquillité du bruit.
Didier Ayres
Lundi de Pâques 2021