Didier Ayres, Cahier, “Fragment I” ou Une explication

lelitteraire.com est heu­reux de pré­sen­ter à ses lec­teurs, après ses nom­breux billets et sa pièce de théâtre  feuille­ton­nés en ligne, le nou­veau pro­jet lit­té­raire de Didier Ayres, le Cahier en ses fragments :

Le Cahier est issu d’un moment d’écriture qui a pour sup­port un cahier Conqué­rant de 90 pages à petits car­reaux; il est manus­crit jusqu’au moment où je l’écris de nou­veau , cette fois-ci sous la forme d’un texte.
J’y prône la pos­si­bi­lité don­née à l’écrivain de, tout en par­lant de lui, tenir un dis­cours pour autrui.
J’aime la forme “je”, qui a des prin­cipes d’identification aux­quels je prête foi.

Frag­ment I tiré du Cahier ou Une expli­ca­tion 

Je reviens cher­cher au sein de ma per­sonne un peu de lan­gage. Là où je suis ample, plus entier. Parce qu‘exister oblige à des figu­ra­tions. Fuyant sans doute le moment confus de notre époque, avec le cahier, je tra­vaille à me construire, à m’identifier, à me sai­sir. Me com­pre­nant dans la dila­ta­tion de ce que je suis capable de res­sen­tir et sur­tout, d’exprimer, je ne cesse de m’être étrange, nou­veau, meuble, plastique.

Je suis un arcane. Une quête abs­traite, erra­tique, convul­sive. Cher­cher veut dire pour moi revê­tir une tunique, une che­mise comme celle du blanc Nes­sus. Je ne peux m’échapper.
Cepen­dant, je ne mets là rien de gran­diose, d’emphatique, aucun rou­le­ment écu­meux de moi-même.

Ainsi, com­ment décrire l’agitation inté­rieure ? Je ne cesse d’être mais dou­tant, comme si deve­nir était une action conti­nue, une connais­sance par frag­ments, bris qu’il faut relier et dont l’épissure est néces­saire. Ces lignes sont des empreintes, des sca­ri­fi­ca­tions, disons : entailles, ecchy­moses. Appa­raître et dis­pa­raître, sortes de feux tri­co­lores qui fonc­tionnent par hasard, ouvrant puis fer­mant le champ de ma vision, qua­li­fient ce regard que je me porte, cette atten­tion vers moi, tout ce qui me conduit au milieu, au centre, au-dedans de ma personne.

Réflé­chir me vaut mieux. Je peux m’attarder dans mes pen­sées. Par­ti­ci­per à l’immobilité, à ce point focal de toute intel­lec­tion. Je ne sais vivre autre­ment et c’est sans doute là ma dam­na­tion, mon châ­ti­ment. Le châ­ti­ment de pen­ser. Est-ce néces­saire ? Pas du tout. Il fau­drait au contraire ne pas écrire. Car cela fait peu devant l’anéantissement, le der­nier som­meil. Tout devient ridi­cule dès lors.

Le mou­ve­ment san­guin per­siste. Le flux orga­nique des glo­bules blancs et rouges ne cesse. L’humeur humide de ma bouche ne s’arrête jamais. Le souffle est tou­jours incons­cient, insen­sible. En vérité, cela peut se com­pa­rer à une danse. Car l’étoile elle aussi se balance. Elle le fait dans l’inquiétante matière noire qui entoure les astres, et elle ne fait que renou­ve­ler notre inquié­tude devant un uni­vers qui n’a maté­riel­le­ment pas de fin. Elle danse.

Non, gésir dans cette encre d’imprimerie, ne change rien. Je n’y dis­tingue qu’une sorte d’enquête. Le feuille­tage d’éléments désor­don­nés, chao­tiques qui exigent de l’ordre, du main­tien, au moins le temps pour la pen­sée d’entrer en com­mu­ni­ca­tion avec la phrase, le para­graphe, la page. Cet ordre, en rien poli­tique, s’apparente sur­tout à l’ordre dorique des colonnes.

Écrire sim­ple­ment. Se dépouiller.
Cher­cher cette pau­vreté, ce besoin sin­gu­lier, fou, cette espèce d’anorexie esthétique.

 didier ayres

Poi­tiers, 30 mars 2021.

 

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