Jean Azarel écrivain léger, Jade Raleza poétesse des profondeurs : entretien avec les deux, à savoir le même (Sea, Sex and Dark)

Depuis Alfred Jarry, les écri­vains cyclistes deviennent les ency­cliques de la lit­té­ra­ture digne de ce nom. Il faut du dur mol­let pour évan­gé­li­ser les foules uni­que­ment — enfin presque — de sexe et de rock and roll comme le fait celui qui, écri­vain pro­lixe et multi-partitas et situé tout en haut de l’échelle de Mas­low,  pour séduire et ins­pi­rer à la jouis­saille garde sa crête de coq ou se trans­forme en poule zélote dont le pot fait rêver Midas.
Expert en com­mu­ni­ca­tion pro­fes­sion­nelle, l’auteur de Sea, sex and Dark la pra­tique en pro, mais rede­ve­nant lui-même il fait de la lit­té­ra­ture la mère de tous les vices et d’Elvis. Elle sue ici par ses pores par encore du cré­pus­cule afin de l’obsessif soleil des années 60 retrou­ver la stri­dence païenne pour la réin­ves­tir en un monde qui s’ensevelit dans une nuit byzan­tine plus désuète que les bolges d’Alighieri.

Entre­tien :

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Outre quelque chose de pensé pen­dant la nuit à écrire dare-dare avant que la mémoire ne fasse défaut, le jar­di­nage, la pêche, le beau temps, les cham­pi­gnons, mes proches, une lec­ture à pré­pa­rer. Avoir le cul dans la terre est un accé­lé­ra­teur de vie chez moi.

Que sont deve­nus vos rêves d’enfant ?
Ils sont enfer­més dans un lieu sûr et secret dont je suis seul à avoir la clé. Ainsi, je les ai gar­dés à peu près intacts. Au dehors, trop de dés­illu­sions leur fai­saient du mal.

A quoi avez-vous renoncé ?
A chan­ger le monde, ce qui n’est pas facile pour un idéa­liste. A être jour­na­liste ou com­men­ta­teur spor­tif, mes moyens phy­siques ne me per­met­tant pas de deve­nir un spor­tif de haut niveau. J’aurais aimé vivre une période de gloire et de déchéance dans une dis­ci­pline olym­pique, pour l’expérience de vie et la trans­po­si­tion dans l’écriture. A être chan­teur de rock aussi, pour l’énergie, et pour les grou­pies, mais comme je me suis marié jeune, ça aurait été com­pli­qué, donc pas de regrets sur ce plan là, de sur­croît je ne chante pas juste.

D’où venez-vous ?
Je ne sais pas répondre à cette ques­tion autre­ment que par « du ventre de ma mère », c’est vrai­ment celle, et la seule, du ques­tion­naire dont je n’ai rien à foutre.

Qu’avez-vous reçu en “héri­tage” ?
Compte tenu des guille­mets, je sup­pose qu’il ne s’agit pas de par­ler de biens maté­riels, donc côté fami­lial, je dirais une grande, par­fois trop grande, sen­si­bi­lité. Je suis vite remué par plein de choses : l’injustice, la conne­rie, l’amour, le déni… ce qui peut me rendre cas­sant et désa­gréable y com­pris avec des amis si je trouve qu’ils sont à côté de la plaque sur un sujet. Je n’ai ni Dieu ni Maître mais des guides de vie. Ils sont prin­ci­pa­le­ment dans la lit­té­ra­ture, le cinéma et la musique. J’ajouterai l’amour de la nature et de toutes les formes vivantes et cycliques qui la composent.

Un petit plai­sir — quo­ti­dien ou non ?
Sex, drugs and rock and roll, mon addic­tion à cette tri­lo­gie est très forte, et puis suivre le sport, déjà évo­qué plus haut, je suis resté accro et éclec­tique. Je pense à écrire une sorte de bio lit­té­raire sur un spor­tif de haut niveau, comme Thi­baut Pinot, un beau­ti­ful loo­ser. Sans oublier un bon repas avec un vin en accord avec les mets.

Qu’est-ce qui vous dis­tingue des autres écri­vains ?
La poly­va­lence me semble-t-il. J’aime écrire dans tous les genres et les styles, même si ça déroute. Quand j’étais sala­rié, j’écrivais des dis­cours pour mes pré­si­dents et pon­dais des rap­ports et des études, rédi­geais des articles dans des revues pro­fes­sion­nelles. Les tech­niques de com­mu­ni­ca­tion m’ont tou­jours plu, sans doute parce que je me débrouillais bien à l’oral comme à l’écrit. C’était une vic­toire sur ma timi­dité. J’essaie autant que faire se peut de res­ter un écri­vain libre dans ma tête et de ne pas ren­trer dans une case même si je suis plu­tôt cata­lo­gué poète, mais c’est le pro­blème des autres pas le mien.

Que vous per­met le pas­sage par un pseu­do­nyme ?
De vivre plus heu­reux en res­tant caché, et d’éviter de me fâcher avec des gens que j’apprécie mais qui ne me connaissent pas comme écri­vain. Poète ou roman­cier, c’est encore hono­rable, mais auteur érotique…Je pense peut-être ainsi à tort. Mais comme j’ai un côté cabo­tin, je suis un peu comme Jack Alain Léger quand il a changé une fois de plus de pseudo pour deve­nir Paul Smaïl : il semait des indices pour que peu à peu les lec­teurs et le monde des lettres découvrent la vérité, mais lui conti­nuait à nier…Léger est le sujet d’un livre que je suis en train d’écrire, un peu dans l’esprit de ma bio roma­nesque sur l’actrice Tina Aumont. C’est un peu ce que je fais en répon­dant à ce ques­tion­naire. Jade Raleza est le pseudo de Jean Aza­rel qui est lui même le pseudo de quelqu’un d’autre. C’est éga­le­ment une façon de retrou­ver mon père, mort en 1983, homme de radio et de télé­vi­sion qui écri­vait aussi sous pseudo des romans poli­ciers à deux balles, mais éga­le­ment sous son vrai nom de la poé­sie, des livres his­to­riques illus­trés, des pièces de théâtre…

Quelle est la pre­mière image qui vous inter­pella ?
Je ne peux pas dire, mais je suis à peu près sûre qu’elle était belle, posi­tive, apai­sante. Je l’imagine aujourd’hui liée à mon enfance heu­reuse, à mon père et ma mère ensemble, avec la séré­nité d’un jar­din fleuri, ou l’opulence d’un ver­ger. C’est ensuite que les choses se sont gâtées et que j’ai décou­vert qu’il n’y a pas de lumière sans ténèbres, une poro­sité entre l’amour, la jalou­sie et la haine, etc..

Et votre pre­mière lec­ture ?
Les BD des petits mecs de mon âge : Blek le Roc, Blake et Mor­ti­mer, Mickey, mais je rêvais aussi après avoir lu les contes pour enfants, Napo­léon, L’Iliade et l’Odyssée en images, ou encore les légendes d’Afrique ou d’Egypte. Tous ont contri­bué à mon appren­tis­sage de la vie, y com­pris dans sa dimen­sion chimérique.

Quelles musiques écoutez-vous ?
Je ne peux pas arrê­ter d’écouter les musiques des années 60/70 qui ont forgé mon ado­les­cence et m’ont fait naître une 2è fois à la vie, qu’il s’agisse du rock, de la pop, du pla­nant, du folk, du free jazz, de la chan­son fran­çaise dite à textes, et je ne crache pas sur la variété de cette époque. Je trouve qu’il y a une âme, une créa­ti­vité bouillon­nante qui a dis­paru. Dans un de mes pro­chains livres, « Le laby­rinthe » (j’ai vu que vous aviez écrit « Laby­rinthes » pour votre part), quasi auto­bio­gra­phique, tout un cha­pitre y sera consa­cré. Dans les années 90, j’ai beau­coup écouté Jean Louis Murat. J’ai eu plus de mal avec le clas­sique, mais je m’y suis mis tout de même, au contraire de l’opéra. Chez les auteurs com­po­si­teurs actuels, j’apprécie Pomme et j’espère que le grand méchant loup du busi­ness genré ne va pas la dévo­rer. A plus petite dose, Div c’est très bien, ou Grand ciel pour l’électro planant.

Quel est le livre que vous aimez relire ?
En tête, « L’apprentissage de la ville » de Luc Die­trich dont je me sens très proche, de l’homme comme de son iti­né­raire ini­tia­tique. Ensuite, je garde une pro­fonde affec­tion pour « Les per­dants magni­fiques » de Léo­nard Cohen qui est un de mes modèles, et dont je res­te­rai amou­reux je pense jusqu’à ma mort.

Quel film vous fait pleu­rer ?
Il y en a trop pour en sor­tir un du lot. Je suis bon public dans les pleurs comme dans les rires et je peux pas­ser avec un égal plai­sir tra­versé de fris­sons, larmes ou rires, de la comé­die au polar, du film d’horreur à la science-fiction, du péplum au western.

Quand vous vous regar­dez dans un miroir qui voyez-vous ?
Un type de 66 ans pas trop abîmé. On me donne géné­ra­le­ment 5/6 ans de moins, mais même si je ne me fais pas d’illusion pour la suite, je ne me vois pas pour l’heure me faire teindre et lif­ter comme Jack Lang, je pré­fère me momi­fier naturellement.

A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
A des filles pour qui j’en pin­çais, et aux pré­si­dents de la Répu­blique. Pour les unes comme pour les autres, j’ai pensé plus sage de m’épargner des épreuves haras­santes qui n’auraient servi à rien. Pour les pré­si­dents, encore j’aurais pu y aller plu­tôt franco, mais pour les filles, il aurait fallu dire sans dire tout en disant …épuisant.

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Ni Venise, ni New York, ni Paris. Les mythes sont fon­da­teurs mais ce n’est pas trop mon truc. Pour le sym­bole des petites villes de la France pro­fonde où je le sens bien, je dirai Saint Geniez d’Olt en Avey­ron. Sinon, j’ai deux lieux de pré­di­lec­tion où je me rends dès que pos­sible, un à la mon­tagne Le Mont Lozère, objet d’un recueil « Poèmes passe-montagne » qui va bien­tôt paraître, l’autre à la mer, la baie d’Audierne. Je m’y sens comme en rési­dence d’écriture. Et je n’ai pas de comptes à rendre en par­tant. Le top !

Quels sont les artistes et écri­vains dont vous vous sen­tez le plus proche ?
Chez les écri­vains j’ai déjà cité Luc Die­trich et Léo­nard Cohen. J’ajouterai l’inévitable Rim­baud et Rilke. Je suis aussi sen­sible à l’écriture des femmes qui aiment les femmes, Mireille Havet, Vio­lette Leduc, Renée Vivien…Côté contem­po­rains, mon frère de lettres trop tôt dis­paru Alain Jégou, Jacques Cauda pour sa folie inven­tive, Per­rine Le Quer­rec ou dans un tout autre genre Cécile Guil­bert. Côté artistes, j’ai une ten­dresse par­ti­cu­lière pour le cinéaste Phi­lippe Gar­rel, la chan­teuse Nico, Edith Piaf, Jacques Brel, Nas­ta­sia Kinski, les peintres ita­liens du Quat­tro­cento, et en règle géné­rale tous les grands per­tur­bés qui ont su trans­cen­der leurs tour­ments dans l’art. Le « Saty­ri­con » de Fel­lini ou « Aguirre » d’Herzog me touchent tou­jours autant. Je n’ai par contre aucune sym­pa­thie pour l’art contemporain.

Qu’aimeriez-vous rece­voir pour votre anni­ver­saire ?
Un temps de ren­contre en tête-à-tête avec les gens encore de ce monde qui me sont chers : Phi­lippe Gar­rel donc, San­drine Bon­naire, Marianne Fai­th­full, Keith Richards, Iggy Pop… Les échanges que j’ai pu avoir en écri­vant sur Tina Aumont et Jack Alain Léger ont tous valeur de cadeau d’anniversaire pour moi.

Que défendez-vous ?
La femme dès lors qu’elle est capable de ne pas repro­duire les erreurs des hommes sans pour autant vou­loir les réduire en escla­vage pour se ven­ger de leur domi­na­tion (pour res­ter soft) mul­ti­sé­cu­laire. La nature face à la pol­lu­tion, l’urbanisation, les 4x4, le mythe de la crois­sance, la loi du pro­fit qui bou­sille la pla­nète avec le consen­te­ment de la majo­rité des popu­la­tions qui n’a pas dépassé le stade 2 de la pyra­mide de Mas­low. L’hôpital et l’école publique car le droit à la santé et à l’éducation sont les bases à pré­ser­ver pour ne pas détruire notre socle répu­bli­cain.. L’esprit giron­din contre l’esprit jaco­bin et en l’occurrence le retour à une meilleure indé­pen­dance éco­no­mique de la France bouf­fée par les délo­ca­li­sa­tions. A ce titre, je défends la notion d’écrivain mili­tant dans son écri­ture, ce qui ne veut sur­tout pas dire dogmatique.

Que vous ins­pire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Tout fout Lacan. Au-delà de la ques­tion, j’ai retrouvé récem­ment un entre­tien de Félix Guat­tari avec Jean-Jacques Bro­chier dans un numéro du Maga­zine Lit­té­raire de 1976. A la ques­tion « il y a donc une nou­velle ins­ti­tu­tion qui s’est créée selon vous, le laca­nisme ?», Guat­tari répond : « Oui, un banc d’essai, une tech­no­lo­gie de pointe, le pro­to­type des nou­velles formes de pou­voir. C’est mer­veilleux d’arriver assu­jet­tir quelqu’un à sa per­sonne, de le tenir, pieds et poings liés, finan­ciè­re­ment, affec­ti­ve­ment, sans même se don­ner la peine de faire aucun effort de sug­ges­tion, d’interprétation, ou de domi­na­tion apparente. »

Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la ques­tion ?“
Woody (Zélig est un de mes films pré­fé­rés) a tou­jours su habi­le­ment mener sa barque. C’est un excellent obser­va­teur de la nature humaine, un cinéaste sou­vent talen­tueux en même temps qu’un fumiste de génie.

Et celle de Via­latte : “L’homme n’est que pous­sière c’est dire l’importance du plu­meau” ?
Beau­coup de bien ! La ques­tion m’a per­mis de me pen­cher davan­tage sur Alexandre Via­latte que je mécon­nais­sais tota­le­ment. Je me sens en ter­rain connu avec son éclec­tisme, sa fan­tai­sie et son goût du second degré, de savoir qu’il était un cul-terreux ami de Henri Pour­rat, et guère étonné que les jurés du Gon­court lui aient pré­féré la froi­deur velou­tée du Rivage des Syrtes de J. Gracq. Donc, comme on dit dans les débats télé ou les col­loques, merci de me l’avoir posée. Et merci de m’avoir octroyé un temps de réflexion pour répondre à ce questionnaire.

Entre­tien et pré­sen­ta­tion réa­li­sés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 1er mars 2021.

Leave a Comment

Filed under Entretiens, Erotisme, Poésie, Romans

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>