Depuis Alfred Jarry, les écrivains cyclistes deviennent les encycliques de la littérature digne de ce nom. Il faut du dur mollet pour évangéliser les foules uniquement — enfin presque — de sexe et de rock and roll comme le fait celui qui, écrivain prolixe et multi-partitas et situé tout en haut de l’échelle de Maslow, pour séduire et inspirer à la jouissaille garde sa crête de coq ou se transforme en poule zélote dont le pot fait rêver Midas.
Expert en communication professionnelle, l’auteur de Sea, sex and Dark la pratique en pro, mais redevenant lui-même il fait de la littérature la mère de tous les vices et d’Elvis. Elle sue ici par ses pores par encore du crépuscule afin de l’obsessif soleil des années 60 retrouver la stridence païenne pour la réinvestir en un monde qui s’ensevelit dans une nuit byzantine plus désuète que les bolges d’Alighieri.
Entretien :
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Outre quelque chose de pensé pendant la nuit à écrire dare-dare avant que la mémoire ne fasse défaut, le jardinage, la pêche, le beau temps, les champignons, mes proches, une lecture à préparer. Avoir le cul dans la terre est un accélérateur de vie chez moi.
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Ils sont enfermés dans un lieu sûr et secret dont je suis seul à avoir la clé. Ainsi, je les ai gardés à peu près intacts. Au dehors, trop de désillusions leur faisaient du mal.
A quoi avez-vous renoncé ?
A changer le monde, ce qui n’est pas facile pour un idéaliste. A être journaliste ou commentateur sportif, mes moyens physiques ne me permettant pas de devenir un sportif de haut niveau. J’aurais aimé vivre une période de gloire et de déchéance dans une discipline olympique, pour l’expérience de vie et la transposition dans l’écriture. A être chanteur de rock aussi, pour l’énergie, et pour les groupies, mais comme je me suis marié jeune, ça aurait été compliqué, donc pas de regrets sur ce plan là, de surcroît je ne chante pas juste.
D’où venez-vous ?
Je ne sais pas répondre à cette question autrement que par « du ventre de ma mère », c’est vraiment celle, et la seule, du questionnaire dont je n’ai rien à foutre.
Qu’avez-vous reçu en “héritage” ?
Compte tenu des guillemets, je suppose qu’il ne s’agit pas de parler de biens matériels, donc côté familial, je dirais une grande, parfois trop grande, sensibilité. Je suis vite remué par plein de choses : l’injustice, la connerie, l’amour, le déni… ce qui peut me rendre cassant et désagréable y compris avec des amis si je trouve qu’ils sont à côté de la plaque sur un sujet. Je n’ai ni Dieu ni Maître mais des guides de vie. Ils sont principalement dans la littérature, le cinéma et la musique. J’ajouterai l’amour de la nature et de toutes les formes vivantes et cycliques qui la composent.
Un petit plaisir — quotidien ou non ?
Sex, drugs and rock and roll, mon addiction à cette trilogie est très forte, et puis suivre le sport, déjà évoqué plus haut, je suis resté accro et éclectique. Je pense à écrire une sorte de bio littéraire sur un sportif de haut niveau, comme Thibaut Pinot, un beautiful looser. Sans oublier un bon repas avec un vin en accord avec les mets.
Qu’est-ce qui vous distingue des autres écrivains ?
La polyvalence me semble-t-il. J’aime écrire dans tous les genres et les styles, même si ça déroute. Quand j’étais salarié, j’écrivais des discours pour mes présidents et pondais des rapports et des études, rédigeais des articles dans des revues professionnelles. Les techniques de communication m’ont toujours plu, sans doute parce que je me débrouillais bien à l’oral comme à l’écrit. C’était une victoire sur ma timidité. J’essaie autant que faire se peut de rester un écrivain libre dans ma tête et de ne pas rentrer dans une case même si je suis plutôt catalogué poète, mais c’est le problème des autres pas le mien.
Que vous permet le passage par un pseudonyme ?
De vivre plus heureux en restant caché, et d’éviter de me fâcher avec des gens que j’apprécie mais qui ne me connaissent pas comme écrivain. Poète ou romancier, c’est encore honorable, mais auteur érotique…Je pense peut-être ainsi à tort. Mais comme j’ai un côté cabotin, je suis un peu comme Jack Alain Léger quand il a changé une fois de plus de pseudo pour devenir Paul Smaïl : il semait des indices pour que peu à peu les lecteurs et le monde des lettres découvrent la vérité, mais lui continuait à nier…Léger est le sujet d’un livre que je suis en train d’écrire, un peu dans l’esprit de ma bio romanesque sur l’actrice Tina Aumont. C’est un peu ce que je fais en répondant à ce questionnaire. Jade Raleza est le pseudo de Jean Azarel qui est lui même le pseudo de quelqu’un d’autre. C’est également une façon de retrouver mon père, mort en 1983, homme de radio et de télévision qui écrivait aussi sous pseudo des romans policiers à deux balles, mais également sous son vrai nom de la poésie, des livres historiques illustrés, des pièces de théâtre…
Quelle est la première image qui vous interpella ?
Je ne peux pas dire, mais je suis à peu près sûre qu’elle était belle, positive, apaisante. Je l’imagine aujourd’hui liée à mon enfance heureuse, à mon père et ma mère ensemble, avec la sérénité d’un jardin fleuri, ou l’opulence d’un verger. C’est ensuite que les choses se sont gâtées et que j’ai découvert qu’il n’y a pas de lumière sans ténèbres, une porosité entre l’amour, la jalousie et la haine, etc..
Et votre première lecture ?
Les BD des petits mecs de mon âge : Blek le Roc, Blake et Mortimer, Mickey, mais je rêvais aussi après avoir lu les contes pour enfants, Napoléon, L’Iliade et l’Odyssée en images, ou encore les légendes d’Afrique ou d’Egypte. Tous ont contribué à mon apprentissage de la vie, y compris dans sa dimension chimérique.
Quelles musiques écoutez-vous ?
Je ne peux pas arrêter d’écouter les musiques des années 60/70 qui ont forgé mon adolescence et m’ont fait naître une 2è fois à la vie, qu’il s’agisse du rock, de la pop, du planant, du folk, du free jazz, de la chanson française dite à textes, et je ne crache pas sur la variété de cette époque. Je trouve qu’il y a une âme, une créativité bouillonnante qui a disparu. Dans un de mes prochains livres, « Le labyrinthe » (j’ai vu que vous aviez écrit « Labyrinthes » pour votre part), quasi autobiographique, tout un chapitre y sera consacré. Dans les années 90, j’ai beaucoup écouté Jean Louis Murat. J’ai eu plus de mal avec le classique, mais je m’y suis mis tout de même, au contraire de l’opéra. Chez les auteurs compositeurs actuels, j’apprécie Pomme et j’espère que le grand méchant loup du business genré ne va pas la dévorer. A plus petite dose, Div c’est très bien, ou Grand ciel pour l’électro planant.
Quel est le livre que vous aimez relire ?
En tête, « L’apprentissage de la ville » de Luc Dietrich dont je me sens très proche, de l’homme comme de son itinéraire initiatique. Ensuite, je garde une profonde affection pour « Les perdants magnifiques » de Léonard Cohen qui est un de mes modèles, et dont je resterai amoureux je pense jusqu’à ma mort.
Quel film vous fait pleurer ?
Il y en a trop pour en sortir un du lot. Je suis bon public dans les pleurs comme dans les rires et je peux passer avec un égal plaisir traversé de frissons, larmes ou rires, de la comédie au polar, du film d’horreur à la science-fiction, du péplum au western.
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
Un type de 66 ans pas trop abîmé. On me donne généralement 5/6 ans de moins, mais même si je ne me fais pas d’illusion pour la suite, je ne me vois pas pour l’heure me faire teindre et lifter comme Jack Lang, je préfère me momifier naturellement.
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
A des filles pour qui j’en pinçais, et aux présidents de la République. Pour les unes comme pour les autres, j’ai pensé plus sage de m’épargner des épreuves harassantes qui n’auraient servi à rien. Pour les présidents, encore j’aurais pu y aller plutôt franco, mais pour les filles, il aurait fallu dire sans dire tout en disant …épuisant.
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Ni Venise, ni New York, ni Paris. Les mythes sont fondateurs mais ce n’est pas trop mon truc. Pour le symbole des petites villes de la France profonde où je le sens bien, je dirai Saint Geniez d’Olt en Aveyron. Sinon, j’ai deux lieux de prédilection où je me rends dès que possible, un à la montagne Le Mont Lozère, objet d’un recueil « Poèmes passe-montagne » qui va bientôt paraître, l’autre à la mer, la baie d’Audierne. Je m’y sens comme en résidence d’écriture. Et je n’ai pas de comptes à rendre en partant. Le top !
Quels sont les artistes et écrivains dont vous vous sentez le plus proche ?
Chez les écrivains j’ai déjà cité Luc Dietrich et Léonard Cohen. J’ajouterai l’inévitable Rimbaud et Rilke. Je suis aussi sensible à l’écriture des femmes qui aiment les femmes, Mireille Havet, Violette Leduc, Renée Vivien…Côté contemporains, mon frère de lettres trop tôt disparu Alain Jégou, Jacques Cauda pour sa folie inventive, Perrine Le Querrec ou dans un tout autre genre Cécile Guilbert. Côté artistes, j’ai une tendresse particulière pour le cinéaste Philippe Garrel, la chanteuse Nico, Edith Piaf, Jacques Brel, Nastasia Kinski, les peintres italiens du Quattrocento, et en règle générale tous les grands perturbés qui ont su transcender leurs tourments dans l’art. Le « Satyricon » de Fellini ou « Aguirre » d’Herzog me touchent toujours autant. Je n’ai par contre aucune sympathie pour l’art contemporain.
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Un temps de rencontre en tête-à-tête avec les gens encore de ce monde qui me sont chers : Philippe Garrel donc, Sandrine Bonnaire, Marianne Faithfull, Keith Richards, Iggy Pop… Les échanges que j’ai pu avoir en écrivant sur Tina Aumont et Jack Alain Léger ont tous valeur de cadeau d’anniversaire pour moi.
Que défendez-vous ?
La femme dès lors qu’elle est capable de ne pas reproduire les erreurs des hommes sans pour autant vouloir les réduire en esclavage pour se venger de leur domination (pour rester soft) multiséculaire. La nature face à la pollution, l’urbanisation, les 4x4, le mythe de la croissance, la loi du profit qui bousille la planète avec le consentement de la majorité des populations qui n’a pas dépassé le stade 2 de la pyramide de Maslow. L’hôpital et l’école publique car le droit à la santé et à l’éducation sont les bases à préserver pour ne pas détruire notre socle républicain.. L’esprit girondin contre l’esprit jacobin et en l’occurrence le retour à une meilleure indépendance économique de la France bouffée par les délocalisations. A ce titre, je défends la notion d’écrivain militant dans son écriture, ce qui ne veut surtout pas dire dogmatique.
Que vous inspire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Tout fout Lacan. Au-delà de la question, j’ai retrouvé récemment un entretien de Félix Guattari avec Jean-Jacques Brochier dans un numéro du Magazine Littéraire de 1976. A la question « il y a donc une nouvelle institution qui s’est créée selon vous, le lacanisme ?», Guattari répond : « Oui, un banc d’essai, une technologie de pointe, le prototype des nouvelles formes de pouvoir. C’est merveilleux d’arriver assujettir quelqu’un à sa personne, de le tenir, pieds et poings liés, financièrement, affectivement, sans même se donner la peine de faire aucun effort de suggestion, d’interprétation, ou de domination apparente. »
Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la question ?“
Woody (Zélig est un de mes films préférés) a toujours su habilement mener sa barque. C’est un excellent observateur de la nature humaine, un cinéaste souvent talentueux en même temps qu’un fumiste de génie.
Et celle de Vialatte : “L’homme n’est que poussière c’est dire l’importance du plumeau” ?
Beaucoup de bien ! La question m’a permis de me pencher davantage sur Alexandre Vialatte que je méconnaissais totalement. Je me sens en terrain connu avec son éclectisme, sa fantaisie et son goût du second degré, de savoir qu’il était un cul-terreux ami de Henri Pourrat, et guère étonné que les jurés du Goncourt lui aient préféré la froideur veloutée du Rivage des Syrtes de J. Gracq. Donc, comme on dit dans les débats télé ou les colloques, merci de me l’avoir posée. Et merci de m’avoir octroyé un temps de réflexion pour répondre à ce questionnaire.
Entretien et présentation réalisés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 1er mars 2021.