Claude Louis-Combet, Aube des chairs et viscères

Opéra­tions : enten­dez ouver­tures — Claude Louis-Combet

Méde­cin, pro­fes­seur de car­dio­lo­gie, Mar­tial Hamon (aka Nomah) dis­pose d’un capi­tal cultu­rel qui fait la part belle à l’anatomie et à l’imagerie médi­cale. En 2010, il a décidé d’abandonner une belle car­rière d’angioplasticien et de pro­fes­seur de car­dio­lo­gie pour se consa­crer à un son — dit-il, “besoin irré­pres­sible de peindre”. Il pro­pose une œuvre sin­gu­lière, dérou­tante mais qui fas­cine.
Ses tableaux “figu­ra­tifs” (enfin presque) évoquent les organes internes, plongent dans la nature de notre condi­tion. L’invention plas­tique achève le tra­vail de chi­rur­gie. Elle pro­longe la réa­lité dans un expres­sion­nisme riche de varia­tions de cou­leurs et de trans­pa­rences en des gammes de bleus de rouges et de mauves.
Les organes tels qu’ils sont scé­na­ri­sés offrent un voyage inté­rieur, une médi­ta­tion sur notre condi­tion la plus charnelle.

L’artiste veut arra­cher au corps ses secrets et dévoi­ler son essence ani­male. Dès lors, à ce point de son par­cours, l’artiste pro­voque néces­sai­re­ment l’écriture et la poé­sie. D’où la ren­contre avec Claude Louis-Combet qui approche poé­ti­que­ment le trans­fert d’une acti­vité médi­cale à celle de la pein­ture.
Et l’auteur de pré­ci­ser cette démarche ; “C’était, comme à l’opéra, une ouver­ture. (…) Cela aurait pu durer encore et durer jusqu’à aujourd’hui et au-delà. Mais voici : l’artisan com­mis par le dieu créa­teur pour pré­pa­rer des pro­jets a sou­dain tou­ché le fond de sa son­ge­rie et l’idée lui est venue qu’il fal­lait en finir avec l’être qu’il tenait en ses mains – l’être de l’homme – et que cet achè­ve­ment et accom­plis­se­ment ne pour­rait s’effectuer que par l’introduction, au plus pro­fond de la matière vivante, d’un prin­cipe de lumière : une concré­tion orga­nique des­ti­née à illu­mi­ner le dedans de l’être”.

Comme l’illustre Louis-Combet, le pra­ti­cien s’est donc doté d’un oeil ou plu­tôt d’un regard qui échappe à l’écriture. Car si les mots coulent, appa­rem­ment inta­ris­sables, sans se déprendre du secret obs­cur qu’ils ne peuvent cer­ner, la pein­ture per­met d’aller plus au fond de ce secret. La pein­ture révise l’ignorance des mots pour leur don­ner une réponse en s’enfonçant dedans par une sélec­tion d’un cer­tain mode de regard propre au chi­rur­gien.
Du corps qui est notre veilleur des nuits et des jours et est por­teur d’âme, le peintre devient le confi­dent de ses opé­ra­tions les plus secrètes. Par son tra­vail l’artiste, crée de “l’être de l’homme un “achè­ve­ment et un accom­plis­se­ment qui ne pour­rait s’effectuer que par l’introduction -, au plus pro­fond de la matière vivante, d’un prin­cipe de lumière”

Dans la sai­sie par le tableau de la chair, quelque chose se pro­duit qui n’est pas de l’ordre du simple point de vue mais qui consti­tue une sorte de mise en rêve du corps et du rébus qui l’habite par l’œil qui se cherche en lui comme on disait autre­fois que l’âme se cherche dans les miroirs. C’est pour­quoi, chez le peintre mais aussi chez le poète, deux opé­ra­tions ont donc lieu en même temps : concen­tra­tion mais aussi ouver­ture du champ.
Avec en plus un effet de réflexion : le regard s’éprend, s’apprend, se sur­prend alors que l’œil buti­nant et vire­vol­tant reste tou­jours pressé. Il lui manque sans doute le poids de la mélan­co­lie et de la mort et il se contente de pas­ser d’un reflet à l’autre.

Ainsi, l’oeil vise l’objet, le regard la chose — ou ce que Beckett nom­mait “sa cho­séité”.
Vou­lant ins­crire entre ici et ailleurs son extra-territorialité, le regard fonc­tionne dans une dimen­sion struc­tu­rante qui, comme l’a mon­tré Michaux, sub­ver­tit les notions habi­tuelles de dehors et de dedans.

jean-paul gavard-perret

Claude Louis-Combet, Aube des chairs et vis­cères, Illus­tra­tions de Nomah, Fata Mor­gana, coll. Scalps, 2021, 56 p. — 14,00 €.

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