Eric Poindron, Brueghel, Des secrets dans la neige

Contes intem­po­rels

A par­tir du célèbre tableau “Chas­seur dans la neige” de Brue­ghel l’Ancien, Poin­dron embarque le lec­teur dans une sorte de décou­page du tableau. Les per­son­nages s’y répondent dans les propres frag­ments de l’auteur.
D’où cette forme de récit qui entraîne en une marche for­cée auprès des com­pa­gnons de voyage (un fils et son père) inven­tés par le peintre.

Le soir, ce fils raconte ce qui s’est passé après s’être tu pen­dant la jour­née. Et ce qu’il en retient devient un livre de sagesse. Le père apprend par exemple que la phi­lo­so­phie est bonne à écou­ter et qu’il faut la pra­ti­quer “un peu chaque mois” mais sans en abu­ser.
Bref, “il ne faut jamais phi­lo­so­pher à plein temps mais seule­ment à rai­son”. Mar­cher, boire ou écrire répondent à la même injonction.

C’est sans doute pour­quoi le fils écrit avec par­ci­mo­nie. Manière d’éviter les laïus insi­pides et anec­do­tiques.
Plu­tôt qu’un débal­lage nar­ra­tif, il pro­pose une suc­ces­sion de “contes” moraux ou non. Sur­tout lorsqu’un col­por­teur vient visi­ter la femme d’un ton­ne­lier ou d’un paysan.

Tout dans ce livre est aussi pro­fond qu’altier entre les empans du “registre de Piotr le Véné­rable”, des “Chro­niques des froi­dures & des temps déri­soires et les sou­ve­nirs de Piotr le Novice”. Ceux-ci prin­ci­pa­le­ment échappent à leur époque par le bon sens de ce que l’enfant rap­porte.
S’ils sont cen­sés datés du XVIème siècle, leur vérité va à notre époque comme un gant. Et qui plus est à l’aune du Covid.

Le diable — hier comme aujourd’hui — ne cesse de rica­ner sous sa barbe de feu. Si bien que tout homme peut moins dou­ter de lui que de dieu. Et si, d’une cer­taine manière, les dits du fils sont des actes d’impiétés, ils sont à la mesure de notre temps et per­mettent d’imaginer qu’il existe sur d’autres pla­nètes des grands peu­pliers — ce qu’a presque sug­gé­rer Johannes Kepler dans sa cos­mo­go­nie et ses vati­ci­na­tions non far­cesques sur la “sexan­gu­la­rité des flo­cons de neige” rap­por­tées par l’auteur.
Si bien que, tout compte fait, ce livre de presque contes devient un livre intemporel.

Et il reste jouis­sif au plus haut point.

jean-paul gavard-perret

Eric Poin­dron, Brue­ghel, Des secrets dans la neige, édi­tions Inve­nit, Lille, 2021, 127 p. — 15,00 €.

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Filed under Chapeau bas, Inclassables

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