A partir du célèbre tableau “Chasseur dans la neige” de Brueghel l’Ancien, Poindron embarque le lecteur dans une sorte de découpage du tableau. Les personnages s’y répondent dans les propres fragments de l’auteur.
D’où cette forme de récit qui entraîne en une marche forcée auprès des compagnons de voyage (un fils et son père) inventés par le peintre.
Le soir, ce fils raconte ce qui s’est passé après s’être tu pendant la journée. Et ce qu’il en retient devient un livre de sagesse. Le père apprend par exemple que la philosophie est bonne à écouter et qu’il faut la pratiquer “un peu chaque mois” mais sans en abuser.
Bref, “il ne faut jamais philosopher à plein temps mais seulement à raison”. Marcher, boire ou écrire répondent à la même injonction.
C’est sans doute pourquoi le fils écrit avec parcimonie. Manière d’éviter les laïus insipides et anecdotiques.
Plutôt qu’un déballage narratif, il propose une succession de “contes” moraux ou non. Surtout lorsqu’un colporteur vient visiter la femme d’un tonnelier ou d’un paysan.
Tout dans ce livre est aussi profond qu’altier entre les empans du “registre de Piotr le Vénérable”, des “Chroniques des froidures & des temps dérisoires et les souvenirs de Piotr le Novice”. Ceux-ci principalement échappent à leur époque par le bon sens de ce que l’enfant rapporte.
S’ils sont censés datés du XVIème siècle, leur vérité va à notre époque comme un gant. Et qui plus est à l’aune du Covid.
Le diable — hier comme aujourd’hui — ne cesse de ricaner sous sa barbe de feu. Si bien que tout homme peut moins douter de lui que de dieu. Et si, d’une certaine manière, les dits du fils sont des actes d’impiétés, ils sont à la mesure de notre temps et permettent d’imaginer qu’il existe sur d’autres planètes des grands peupliers — ce qu’a presque suggérer Johannes Kepler dans sa cosmogonie et ses vaticinations non farcesques sur la “sexangularité des flocons de neige” rapportées par l’auteur.
Si bien que, tout compte fait, ce livre de presque contes devient un livre intemporel.
Et il reste jouissif au plus haut point.
jean-paul gavard-perret
Eric Poindron, Brueghel, Des secrets dans la neige, éditions Invenit, Lille, 2021, 127 p. — 15,00 €.