Henri Michaux à l’épreuve des sensations
Fata Morgana republie ce texte de 1973. Michaux y retrace une expérience intime suite à un accident. Le bras droit cassé, le poète, dès le lendemain de sa chute, s’est mis “tant bien que mal, malgré sa maladresse, sa presque inexistence, à écrire vermiculairement de la main gauche pour ne pas perdre trace entière de cet aspect gelé et belle-au-bois-dormant de la nature”.
Le tout pour décrire au plus près de ses sensations ce qui se passe, en un tel état.
Lui apparaît bientôt l’idée que “le corps gauche est une manière intérieure, porté par les sensations et l’imagination”. Si bien que le bras droit cassé crée “une rupture dans la perception du corps, point de départ de ce texte, voyage intérieur, côté gauche.” Michaux y découvre une leçon de conduite.
Le chercheur d’ombre ne pouvait que cultiver cette infirmité provisoire pour atteindre des “émergences — résurgences” qui échappent à tout ce qui file “droit”.
Sa stratégie permet à la fois un refus, un “non” et l’apparition d’une destruction de certaines frontières. C’est parfois subtilement drôle, parfois cinglant et sans appel. Michaux prouve que ses approches n’ont rien de répétitives.
Il joue au besoin au trapéziste contraint par les incidents de parcours.
Il en accepte les sollicitations et les sollicitudes qui permettent de ne jamais limiter l’écriture à une parade. Il prouve que celle-là existe toujours. Pas forcément en totalité, mais l’auteur ne fuit pas ce qui le handicape.
Il mène toujours plus loin la quête de l’intime au plus près de la sensation en une sorte de génie de la vie intérieure et, ici, par un changement de “main”.
jean-paul gavard-perret
Henri Michaux, Bras cassé, Fata Morgana, Fontfroide le Haut, 2021, 64 p.