Un bel hommage à un chef-d’œuvre de Jack London !
Riff Reb’s adapte, librement, le roman fantastique de Jack London, un livre engagé, réaliste, héritage du J’accuse d’Émile Zola (Si l’article est bien de Zola, le titre extrêmement offensif est de Clemenceau). Jack London qui connaît le système carcéral américain, il a été arrêté pour vagabondage, n’a de cesse, dans nombre de ses écrits, d’en dénoncer les abus, les outrances.
Nombre d’exégètes de l’œuvre du romancier qualifient The Star Rover comme son “testament”, comme le dernier acte de ce militant socialiste, cet écologiste avant l’heure.
Ce livre a d’ailleurs suscité un tel mouvement que la torture de la camisole a été interdite et il a initié une réforme des prisons de Californie.
Darell Standing, un ingénieur agronome, a été condamné à la prison à perpétuité pour le meurtre d’un collègue de l’Université de Berkeley, en Californie. Il se retrouve accusé d’avoir caché un pain de dynamite dans le pénitencier de San Quentin. Le directeur, pour le faire avouer, le soumet à la torture de la camisole. Celle-ci comprime tant le corps qu’elle bloque toute circulation sanguine occasionnant des douleurs atroces.
Un autre détenu, subissant le même traitement, lui enseigne l’art de l’auto-hypnose. Son esprit, alors libéré, vagabonde. Il va vivre des existences diverses et variées. Parce qu’il est accusé d’avoir porté la main sur un surveillant, il est condamné à mort. C’est depuis une cellule, dans le couloir qui le mènera à la pendaison, qu’il rédige ses mémoires, des mémoires qui sortiront clandestinement de la prison de Folsom.
Dans ce tome, Darell se retrouve dans la peau d’un jeune garçon, au cœur d’une caravane de pionniers en route vers l’Ouest. Il partage le périple d’un Viking qui va finir sa vie comme soldat romain en Judée, près de Ponce Pilate. C’est dans le corps d’une femme qu’il va vivre une aventure proche de celle de Robinson Crusoé. Il visite la Préhistoire réincarné en homme de Cro-Magnon…
Ses incarnations ont une base historique plus ou moins authentique. Ainsi, le jeune garçon qui faisait route vers l’Ouest a été assassiné par des Mormons, alliés à une tribu amérindienne, dirigés par John D. Lee. L’affaire est connue sous le nom du massacre de Mountain Meadows.
Riff Reb’s passe du réalisme de la prison, et de son vécu, au fantastique de ces réincarnations. Mais, Darell se projette-t-il au hasard ou revient-il dans des existences qu’il aurait déjà vécues, dans des réincarnations antérieures ?
N’est-ce pas aussi le propre des romanciers, des écrivains, qui vivent des dizaines, voire des centaines de vies différentes à travers les personnages de fiction ou authentiques qu’ils animent ?
Le scénariste dispose des réflexions philosophiques sur la vie, la mort, l’amour, donnant à l’Homme d’aujourd’hui, par les accumulations du passé, la connaissance, dans l’inné, de ces nombreuses vies antérieures, et dans les gènes les informations collectées par tous les ascendants.
Le graphisme est tonique, synthétique, allant à l’essentiel. Les ombres doivent beaucoup aux hachures et les fonds de couleurs aux teintes sobres, différentes selon les vies ou les séquences carcérales.
Riff Reb’s réussit le défi de transposer en deux cents pages de BD un roman de quatre cents pages en gardant le magnifique travail littéraire du romancier et en apportant sa touche, une touche essentielle pour la beauté de ces deux albums.
serge perraud
Riff Reb’s, (scénario, dessin et couleurs, librement adapté de Jack London), Le Vagabond des Étoiles — seconde partie, Soleil, coll. Noctambule, octobre 2020, 104 p.- 17,95 €.