Le Vagabond des Étoiles – The Star Rover — est un roman fantastique de Jack London, paru en 1915, traduit en France dans une version abrégée en 1925. Riff Reb’s, qui a déjà adapté Le Loup des mers, s’attache à scénariser et mettre en images un des derniers livres de ce géant littéraire.
En introduction, un ingénieur explique ce qu’il ressent, cette sensation de “déjà-vu”, cette impression de connaître des lieux, des traits de visages qui rappellent des personnes aimées ou haies. Il se remémore que, tout jeune enfant, il avait le souvenir d’avoir été fils de roi, d’esclave, de putain. Son esprit de scientifique souffre de ne pouvoir donner des explications à ces réminiscences.
Il s’appelle Darrell Standing et, il y a huit ans, il tuait un professeur à l’université de Berkeley où lui-même enseignait. Condamné à la prison à vie au pénitencier de San Quentin, dans la baie de San Francisco, il attend d’être pendu pour son insoumission. Il raconte le quotidien de cet enfer, les tortures comme l’Iron claw, le cachot, l’isolement, la camisole de force qui provoque des douleurs intolérables en bloquant la circulation sanguine…
Il est torturé car un autre détenu l’a accusé d’avoir caché de la dynamite dans l’établissement pénitentiaire. C’est un prisonnier, subissant la même torture, qui lui dit de forcer son esprit à oublier son corps et de penser à tout prix à autre chose. Et Darrell…
Le récit passe entièrement par Darrell. C’est lui qui écrit son histoire, ses histoires, en 1913, avant d’être pendu. Il pratique l’autohypnose et plonge dans un kaléidoscope de l’histoire du monde, tour à tour, dans cette première partie, chevalier, ermite, enfant migrant dans l’Ouest américain. Jack London s’appuie, pour justifier les nombreuses existences de Darrell, sur cette théorie philosophique qu’est la réincarnation de l’âme, ses transmigrations consécutives dans des corps différents.
Ainsi, une âme, une conscience peut voyager dans le temps, se rappeler, comme le fait le héros, de la place réelle occupée dans la muraille par la porte de Jaffa à Jérusalem.
Avec ce roman, un des derniers que Jack London ait écrit — n’est-il pas décédé en 1916, à l’âge de 40 ans ? -, le romancier donne une image terrible, dénonce comme il l’a toujours fait, les brutalités des prisons, le système carcéral américain. Ce livre aura un tel retentissement qu’il amènera une amélioration de la condition pénitentiaire. Il interroge, et apporte une réponse, sur le fait qu’on enveloppe d’un voile noir la tête de la personne qui va être pendue.
Juger de la qualité de l’adaptation quand on n’a pas eu le plaisir de lire le roman est difficile. Aussi, il ne faut s’attacher qu’à l’adaptation que Riff Reb’s lui-même qualifie de libre. Et celle-ci est fort agréable à suivre et à regarder. À suivre par le contenu des situations, des dialogues, des cartouches narratifs riches en réflexions et en émotions. À regarder car le dessin et l’organisation des planches sont splendides.
Ce graphisme en noir en blanc avec des fonds de couleurs neutres définissant des lieux, des atmosphères est particulièrement parlant. Cette première partie se déroule en prison, les décors sont sombres, mais il rend de belle manière les évasions mentales du héros. En épigraphe, Riff Reb’s place un des beaux poèmes de Gérard de Nerval dont l’esprit est proche de celui de l’album.
Jack London a-t-il imaginé, pour son héros, une rencontre très proche de celle vécue par un Gascon et qui débute un des romans les plus populaires d’un auteur français du XIXe siècle ?
La première partie du Vagabond des Étoiles se révèle prenante, prégnante par la profondeur du sujet, par la description d’un univers terrifiant et par un graphisme très réussi.
voir notre critique du tome 2
serge perraud
Riff Reb’s (scénario librement adapté de Jack London, dessin et couleurs), Le Vagabond des Étoiles — première partie, Soleil, coll. “Noctambule”, octobre 2019, 96 p. – 17,95 €.