Victor Segalen, Oeuvres 1 & 2

Toucher l’infini

Il existe dans cette superbe édi­tion en deux tomes des œuvres de Sega­len  une option essen­tielle : Chris­tian Dou­met a pris pour des­sein “de rendre aux textes leur mou­ve­ment propre”. Celui d’une sorte de marche quasi for­cée vers l’idée gran­diose que le créa­teur se fai­sait de son oeuvre.
Et ce, en accom­pa­gnant cha­cun des textes de leurs substrats.

Se com­prend mieux com­ment, même dans une de ses options fon­da­men­tales — l’exotisme -, Sega­len refuse tous les bri­co­lages d’installations chao­tiques. Il reven­dique ratio­na­lité, pré­ci­sion, sim­pli­cité, élé­gance, sub­ti­lité. Pour lui, le sublime est infini, à savoir l’infinitésimal mais tout aussi le gran­diose, l’éloquent et à l’inverse l’indicible.
Cela afin de faire tou­cher à cette sen­sa­tion d’infini par tout ce que l’auteur a choisi de rete­nir en ses voyages, ses lec­tures et ses goûts artistiques.

Dans ce but, il mul­ti­plie les  “tech­niques ” : la poly­pho­nie avec Fils du Ciel où se mêlent récit, poé­sie et com­men­taire, une voix plus rocailleuse dans Thi­bet là où à l’étendue fait place un néces­saire souffle court, et un phrasé majeur dans l’équilibre  des Stèles. La pré­sence dans cette édi­tions des “dos­siers manus­crits” per­met de com­prendre la forge des “pièces” avec les injonc­tions que Sega­len se porte à lui-même.
Si bien que la qua­lité de ce dia­logue intime — note Dou­met — prouve com­bien l’auteur leur accor­dait de l’importance. Elles sont par­fois des har­mo­niques des oeuvres tel que — et par exemple — l’Essai sur l’exotisme.

L’oeuvre à che­val entre une forme par­ti­cu­lière de roman­tisme et un souci de “clas­si­fi­ca­tion” crée un monde d’interprétations propre à une science humaine moderne et d’une lit­té­ra­ture for­mée d’infimes trans­for­ma­tions per­pé­tuelles de nuances, de points de vue et de lumière en rela­tion avec des mondes forains ou des ter­ri­toires men­taux igno­rés sans pour autant pré­tendre à une écri­ture des gouffres — ce qui n’empêche en rien le pas­sage de bien des fron­tières.
En consé­quence, et comme le sou­ligne le maître d’oeuvre de l’édition, Sega­len res­tera un par­fait Inac­tuels. Mais uni­que­ment dans la mesure où, par rap­port au réel et au pré­sent, l’oeuvre laisse entendre d’autres voies et une voix  très par­ti­cu­lière  là où l’essai lui– même devient roman et poé­sie en une trans­gres­sion des genres.

Une telle lit­té­ra­ture est tou­jours à redé­cou­vrir en sa tra­ver­sée des conti­nents là où, entre “briques et tuiles” et bien des “stèles”, les agi­ta­tions de la vie suivent une navi­ga­tion et une marche au sein de bien des  cou­rants voire des péré­gri­na­tions jusque dans la “cité vio­lette inter­dite” de Stèles  — arbre unique dans notre poé­sie mais qui ne doit pas cacher la forêt dont elle n’est qu’une pièce.

jean-paul gavard-perret

Vic­tor Sega­len, Oeuvres 1 et 2, édi­tions de Chris­tian Dou­met,  Gal­li­mard, Biblio­thèque de la Pléiade,  12 novembre 2020.
Chaque exem­plaire : 67,50 €. 62, 50 €. avant le 31. 08. 2021. 

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