André Suarès — dans ce livre introuvable depuis 1939 et enfin republié - redonne à Tolstoï sa réalité et ses lettres de noblesse “primitive” en l’arrachant à bien des idées reçues. Son livre est moins une critique de l’oeuvre du Russe qu’un chant en hommage à ce qu’il a créé.
Il montre entre autres qu’il est bien moins mystique que ce qu’on a écrit à son égard. Si mysticisme il y a, c’est celui de la raison. Suarès rappelle qu’il penche pour un esprit naturel et non vicié par la culture du mensonge.
Tolstoï a compris la doctrine du Christ et a été chrétien et ne voit pas une raison suffisante de ne pas s’y conformer. Cependant, sa religion n’est pas peuplée de démons, d’extases, de grâce ou de pouvoir mystique.
Restant rationnel, le mysticisme “classique” lui inspire du dégoût tout comme les larmoiements et autres fadeurs dolentes d’une religion pitoyable lorsqu’elle tombe en de tels excès. Il y prend garde car il a fait l’expérience de la vraie charité qui dépend de la raison et qui se passe des salamalecs.
Mais Suarès met aussi l’accent sur des aspects mal perçus du créateur. Le livre est trop riche pour tous les souligner. Retenons son humour par exemple. Le romancier russe sait renverser ses ennemis par le ridicule. Non qu’il soit méchant homme. Mais c’est le moyen pour lui de mettre à nu la mauvaise conscience, les vices, les fautes et les ridicules humains.
Et l’ironie le dégage de l’aspect prêcheur de pitié. Selon Suares, l’humour lui permet de rester un des esprits le plus éloignés de tout rêve sentimental. Il est réaliste en tout ; il lui faut des réalités : elles passent par sa verve comme la vraie pitié passe une vie pure et sans crime.
jean-paul gavard-perret
André Suarès, Tolstoï vivant, , Tindad, coll. Essais, Paris, 2020, 182 p. — 18,00 €.