Laurent Margantin est spécialiste de Novalis sur lequel il a écrit deux ouvrages de référence. Il a aussi créé en 2000 « Œuvres ouvertes », un des sites pionniers du web littéraire francophone.
S’y retrouvent des récits de Kafka, des fragments de Novalis et de nombreux textes d’auteurs contemporains dont l’initiateur du site.
Le premier couloir n’est pas sans rappeler la veine et la fièvre kafkaïennes dans ce soliloque en l’honneur d’une victime potentielle (Charlie) que le narrateur apostrophe. Celui-là vient d’échapper de peu à un “maître salaud”.
Afin de préserver ce qui lui reste de vie et surtout eu égard à son talent artistique, il s’adresse à lui pour lui proposer un deal : il protégera l’enfant qui en contrepartie lui apprendra le dessin.
Etonné par la puissance créatrice de son futur et potentiel maître en art plastique et même si (ou parce que), dit-il, ce qu’il fait là, “je suis pas foutu de le dire, je vois juste des couleurs du bleu du marron du beige et un peu de rouge sans pouvoir distinguer une seule forme,” il cherche aussi à comprendre ce que de telles oeuvres “disent”.
Prisonnier de sa fascination, l’implorant permet par la bande de comprendre combien l’art peut abolir la raison des violences et des maîtres. Pour peu toutefois que ce qui se crée résiste et reste avant tout une interrogation.
Le dessin devenant fosse ou rue, il entraîne le narrateur dans le balbutiement de ses dires.
Restent des esquisses de devenirs au croisement du souffle retenu d’un muet créateur de disruptifs horizons.
S’y aiguise le silence contre les grognements péremptoires aussi cruels que dérisoires des monstres d’une colonie pénitencière dont un premier couloir s’ouvre. Ou se ferme.
jean-paul gavard-perret
Laurent Margantin, Le premier couloir, Editions de la Salle de Bains, Rouen, 2020 — 5,00 €.