Dans un style bien à lui, et qui n’est pas fait pour déplaire, l’auteur, dès les premières pages, nous « jette » littéralement dans la vie d’un pauvre homme (Jean). Pas le temps de s’acclimater que, déjà, elle bascule.
Et quelque chose nous dit, sans aller très loin, que l’avenir ne lui offrira rien de bon. Euphémisme pour dire qu’on pressent la dérive.
1896. On accompagne Jean et sa famille partis au loin chercher le café. Mais il arrive seul et ne trouve, au bout du voyage, que le rhum et la désolation dans lequel il la noie.
Portrait classique d’un rêveur en quête d’avenir, loin d’un hexagone qui ne lui offre plus rien, mais qui se rend compte, bien vite et très violemment, que ce lointain colonisé n’est qu’une petite reproduction, en pire et en condensé, de ce qu’il a quitté.
Rien de très nouveau, dans cette histoire, jusqu’à ce que Jean, poursuivi par ses dettes d’alcool, ses mensonges et ses écarts vis-à-vis de l’autorité, fuie sa triste « civilisation » et se réfugie dans la forêt, au plus près des « colonisés » qui viendront lui porter secours en bouleversant son univers et ses idées préconçues.
De rédemption, recherchée, il n’y aura point car Jean trimballe avec lui les virus du « colon » qui, déjà, ont commencé a infecté une partie des aborigènes. Et ces virus ne feront que précipiter la déchéance, de l’un comme des autres.
On aime la plume, à la fois simple et riche ; chatoyante et cruelle. On aime le décor, bien planté, qui rend moite, et Jean, personnage principal que l’on accompagne de la première à la dernière page, a suffisamment de tessiture pour que le lecteur se l’approprie (positivement ou négativement).
L’auteur chemine sur une tranche de vie, saisissante de dureté, toute entière faite de rêve contrariés, qu’il dépeint avec réalisme. Puis il la fait évoluer dans un univers onirique que l’on accepte sans difficulté et qui fait de cet ouvrage un conte plus qu’un roman au sens traditionnel du terme.
On attend beaucoup de cette empreinte onirique en espérant qu’elle transcende l’histoire, un peu classique de facture, d’un homme dont le destin se brise sur l’autel de rêves inassouvis et qui cherche à se reconstruire, même imparfaitement.
Et l’auteur de s’y employer en façonnant ce destin au gré de rencontres étranges (la première d’entre elle – Siwane – éveille curiosité et intérêt) qui ouvriront les yeux de Jean sur l’aberration de l’entreprise coloniale, tant vis-à-vis des aborigènes qu’elle décime ou pervertit que des conquérants dont elle souligne la perdition morale.
Mais cette attente est contrariée car l’auteur referme trop vite les portes qu’il a ouvertes sur tout ce qui n’est pas son personnage et qui ne servent, finalement, qu’à cheminer sur son seul destin. Exit, les considérations plus philosophiques qui, de la manière originale dont elles ont été amenées, auraient fait de cet ouvrage un conte plus consistant.
La fin de ce dernier se perd alors dans un délire un peu baroque qu’il devient difficile de terminer et dont les mots, même s’ils sont bien amenés et relativement évocateurs, donnent l’impression de n’exister que pour le seul plaisir d’avoir été écrits.
darren bryte
Nicolas Cartelet, Petit Blanc, Mu, août 2020, 176 p — 17,00 €.