Nicolas Cartelet, Petit Blanc

Un conte plus qu’un roman

Dans un style bien à lui, et qui n’est pas fait pour déplaire, l’auteur, dès les pre­mières pages, nous « jette » lit­té­ra­le­ment dans la vie d’un pauvre homme (Jean). Pas le temps de s’acclimater que, déjà, elle bas­cule.
Et quelque chose nous dit, sans aller très loin, que l’avenir ne lui offrira rien de bon. Euphé­misme pour dire qu’on pressent la dérive.

1896. On accom­pagne Jean et sa famille par­tis au loin cher­cher le café. Mais il arrive seul et ne trouve, au bout du voyage, que le rhum et la déso­la­tion dans lequel il la noie.
Por­trait clas­sique d’un rêveur en quête d’avenir, loin d’un hexa­gone qui ne lui offre plus rien, mais qui se rend compte, bien vite et très vio­lem­ment, que ce loin­tain colo­nisé n’est qu’une petite repro­duc­tion, en pire et en condensé, de ce qu’il a quitté.

Rien de très nou­veau, dans cette his­toire, jusqu’à ce que Jean, pour­suivi par ses dettes d’alcool, ses men­songes et ses écarts vis-à-vis de l’autorité, fuie sa triste « civi­li­sa­tion » et se réfu­gie dans la forêt, au plus près des « colo­ni­sés » qui vien­dront lui por­ter secours en bou­le­ver­sant son uni­vers et ses idées pré­con­çues.
De rédemp­tion, recher­chée, il n’y aura point car Jean trim­balle avec lui les virus du « colon » qui, déjà, ont com­mencé a infecté une par­tie des abo­ri­gènes. Et ces virus ne feront que pré­ci­pi­ter la déchéance, de l’un comme des autres.

On aime la plume, à la fois simple et riche ; cha­toyante et cruelle. On aime le décor, bien planté, qui rend moite, et Jean, per­son­nage prin­ci­pal que l’on accom­pagne de la pre­mière à la der­nière page, a suf­fi­sam­ment de tes­si­ture pour que le lec­teur se l’approprie (posi­ti­ve­ment ou néga­ti­ve­ment).
L’auteur che­mine sur une tranche de vie, sai­sis­sante de dureté, toute entière faite de rêve contra­riés, qu’il dépeint avec réa­lisme. Puis il la fait évo­luer dans un uni­vers oni­rique que l’on accepte sans dif­fi­culté et qui fait de cet ouvrage un conte plus qu’un roman au sens tra­di­tion­nel du terme.

On attend beau­coup de cette empreinte oni­rique en espé­rant qu’elle trans­cende l’histoire, un peu clas­sique de fac­ture, d’un homme dont le des­tin se brise sur l’autel de rêves inas­sou­vis et qui cherche à se recons­truire, même impar­fai­te­ment.
Et l’auteur de s’y employer en façon­nant ce des­tin au gré de ren­contres étranges (la pre­mière d’entre elle – Siwane – éveille curio­sité et inté­rêt) qui ouvri­ront les yeux de Jean sur l’aberration de l’entreprise colo­niale, tant vis-à-vis des abo­ri­gènes qu’elle décime ou per­ver­tit que des conqué­rants dont elle sou­ligne la per­di­tion morale.

Mais cette attente est contra­riée car l’auteur referme trop vite les portes qu’il a ouvertes sur tout ce qui n’est pas son per­son­nage et qui ne servent, fina­le­ment, qu’à che­mi­ner sur son seul des­tin. Exit, les consi­dé­ra­tions plus phi­lo­so­phiques qui, de la manière ori­gi­nale dont elles ont été ame­nées, auraient fait de cet ouvrage un conte plus consis­tant.
La fin de ce der­nier se perd alors dans un délire un peu baroque qu’il devient dif­fi­cile de ter­mi­ner et dont les mots, même s’ils sont bien ame­nés et rela­ti­ve­ment évo­ca­teurs, donnent l’impression de n’exister que pour le seul plai­sir d’avoir été écrits.

dar­ren bryte

Nico­las Car­te­let, Petit Blanc, Mu, août 2020, 176 p — 17,00 €. 

Leave a Comment

Filed under On jette !, Romans

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>