Passepartout-Robinson entre les mondes et les temps : entretien avec Nathan Grison (Parcourir le silence )

Avec ses pho­to­gra­phies Nathan Gri­son tra­ver­se le temps, l’Histoire et crée une poé­sie par­ti­cu­lière de l’espace -  sou­vent à par­tir d’une esthé­tique du frag­ment et de la ruine.
L’émotion y trouve un che­min par­ti­cu­lier entre le vide et des formes de recons­truc­tion rebelles à la simple illu­sion. Le spec­ta­teur glisse en une suite de rap­pels et autant de pertes de repères.

Si bien que ce qui tient ici au plai­sir nour­rit néan­moins une cer­taine angoisse et c’est fascinant.

Laurent Gri­son & Nathan R. Gri­son, Ana­co­luthe, Edi­tion Apeiron.

Entre­tien :

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
L’amour sou­vent tumul­tueux mais tou­jours ras­sé­ré­nant d’un fils qui appré­cie les pre­mières lueurs du jour et avec qui je par­tage un désir d’aventure et une soif de découverte.

Que sont deve­nus vos rêves d’enfant ?
Ils conti­nuent de for­mer la sève qui nour­rit mes espoirs et envies adultes. Ils scin­tillent dans mon incons­cient comme des lucioles m’ouvrant la voie et la voix.

A quoi avez-vous renoncé ?
A l’idée d’un temps sans fin. Rien n’est éter­nel et les regrets doivent être aban­don­nés en chemin.

D’où venez-vous ?
D’ici et d’ailleurs, de par­tout et de nulle part, mais j’aime à croire que je suis un enfant de ces terres d’Écosse bat­tues par les vents venus des tré­fonds de la mer du Nord.

Qu’avez-vous reçu en dot ?
Un calme tem­pé­tueux à sou­le­ver des montagnes.

Un petit plai­sir — quo­ti­dien ou non ?
M’évader dans mes pen­sées en lais­sant mes jambes me mener à vive allure à tra­vers la ville et ses chimères.

Qu’est-ce qui vous dis­tingue des autres artistes ?
J’aime don­ner vie à l’immobile et faire dan­ser les éléments.

Com­ment définiriez-vous votre approche du “pay­sage” ?
Je suis tou­jours à la recherche de la richesse du dénue­ment dans l’urbain, d’un sens géo­mé­trique à la sim­pli­cité com­plexe, d’une his­toire avec ou sans majuscule.

Quelle est la pre­mière image qui vous inter­pella ?
L’apparition d’un joueur de cor­ne­muse au som­met d’Arthur’s Seat, la mon­tagne de mes pre­miers jours, et ce son enivrant qui m’a sorti de mes vicis­si­tudes pour mieux me plon­ger dans une tor­peur déli­cieuse que je n’ai jamais oubliée et qui me donne racines.

Et votre pre­mière lec­ture ?
Mon plus clair pre­mier sou­ve­nir de lec­ture est “Le tour du monde en quatre-vingts jours” de Jules Verne. Mes pre­mières envies de Pas­se­par­tout s’y sont révélées.

Quelles musiques écoutez-vous ?
Je me replonge aujourd’hui avec un plai­sir gri­sant dans les comp­tines de mon enfance.

Quel est le livre que vous aimez relire ?
“1984” de George Orwell. À bien des égards, un livre mal­heu­reu­se­ment tou­jours pertinent.

Quel film vous fait pleu­rer ?
“Good Bye, Lenin!’ de Wolf­gang Becker.

Quand vous vous regar­dez dans un miroir qui voyez-vous ?
Un adulte enfant et un enfant adulte qui se connaissent mais ne se recon­naissent pas.

A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
À moi-même.

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Kiev. Iden­ti­tés, conflits et mémoires s’y embrassent et s’y embrasent. Elle est entre­cho­que­ment de cultures et d’histoires. Et elle a donné un sens à ma vie.

Quels sont les artistes et écri­vains dont vous vous sen­tez le plus proche ?
Alexandre Rodt­chenko pour sa capa­cité à figer son monde. Et Svet­lana Alek­sie­vitch pour sa faculté à rapié­cer des frag­ments de vies épar­pillés par les convul­sions de l’Histoire.

Qu’aimeriez-vous rece­voir pour votre anni­ver­saire ?
Une carte d’un lieu sans nom et sans existence.

Que défendez-vous ?
L’humain, dans toute son imperfection.

Que vous ins­pire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Ce qui fait la grâce de l’amour, c’est pré­ci­sé­ment qu’il se nour­rit de défauts et d’absences. Rien ne sert de se déro­ber aux démons qui nous rongent. Le manque est une offrande à par­ta­ger et à chérir.

Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la ques­tion ?“
Je dirais que, à mes yeux, la ques­tion est tou­jours plus impor­tante que la réponse. C’est en ques­tion­nant sans cesse que nous nous met­tons à nu devant nous-mêmes. La réponse, elle, est anec­do­tique ; elle était en nous depuis notre pre­mier cri.

Quelle ques­tion ai-je oublié de vous poser ?
Com­ment parcourt-on le silence ? Et je ne vous aurais pas répondu.

Pré­sen­ta­tion et entre­tien réa­li­sés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 27 juillet 2020.

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