Les nuits et les jours d’Emanuel Proweller

Prowel­ler enfin !

Emanuel Pro­wel­ler est né en 1918 à Lwow (Pologne). Dans son pays natal, il par­ti­cipa à plu­sieurs expo­si­tions de groupes et à divers salons mais la Shoah lui fit déchi­rer son diplôme d’architecte. Ses parents par­tis en fumée, comme il l’écrivit, armé d’une repro­duc­tion de Cézanne et avec ses faux papiers, il quitta la Pologne et arriva à la gare de l’Est en mars 1948. Peintre trop en avance sur son temps, il com­prit que la pein­ture ne doit être ni de pro­pa­gande ni concep­tuelle. Un seul tableau rap­pelle les moments ter­ribles de son exis­tence. Ce tableau inti­tulé Le Pendu ou Sou­ve­nir de l’occupant est le seul qui retrace direc­te­ment l’horreur. Pro­wel­ler savait en effet que l’artiste s’oppose au monde tel qu’il est, uni­que­ment de façon indi­recte, par l’élaboration d’une nou­velle forme d’expression de la réa­lité en offrant une nou­velle moda­lité de per­cep­tion.
Pré­cur­seur de la Nou­velle Figu­ra­tion avant l’heure, il n’obtint que la recon­nais­sance de quelques esthètes. Le temps répare les myo­pies et cor­rige les fausses pers­pec­tives. C’est pour­quoi le cata­logue (et l’exposition) Les nuits et les jours d’Emanuel Pro­wel­ler  repré­sentent une étape impor­tante qui déve­loppe ce que Jean Blot écri­vit au sujet du peintre :  C’est un Flo­ren­tin de notre temps. Il construit un espace aussi bou­le­ver­sant et aussi néces­saire que celui d’Uccello. Il est fou des valeurs tac­tiles qui font qu’un corps, un geste, un visage, trans­mettent à nos muscles et à nos nerfs leur vita­lité. Fou aussi de ces cadrages vio­lents qui, comme chez les grands Flo­ren­tins encore, clouent le regard.

Prowel­ler a lui-même pré­cisé que l’acte de peindre ne consiste pas à s’exprimer, mais à com­pa­rer sa sub­jec­ti­vité à un élé­ment objec­tif et valable : le sujet . Et très vite le sen­ti­ment légi­time d’avoir le droit de racon­ter une his­toire le ramena à une figu­ra­tion sim­pli­fiée mais des plus évo­ca­trices. En optant pour la vie, cette recons­truc­tion lais­sait pres­sen­tir une forme de nou­velle vision.
L’artiste sui­vit tou­jours ses exi­gences inté­rieures afin de com­prendre les rap­ports que l’art ne cesse de tri­co­ter avec le monde. Il fit de son art une fête du regard. Para­sols et biki­nis donnent une fausse super­fi­cia­lité à une pein­ture heu­reuse, presque insou­ciante mais qui ne manque jamais de pro­fon­deur. Ses figu­ra­tions tranchent dans les années 50 où, en France comme aux Etats-Unis, la seule pein­ture pos­sible semble l’abstraction. Elles annoncent le pop-art mais sans une stan­dar­di­sa­tion repro­gra­phique. Influencé par Matisse, Pro­wel­ler a donc inventé une ala­crité sub­tile faite de formes simples et de cou­leurs vives presque  “insou­ciantes “.
Il faut reve­nir à elles. Car elles pul­vé­risent une cer­taine conti­nuité du dis­cours sur la pein­ture. Ce dis­cours vou­drait faire croire que la pein­ture n’existe plus. Or, Ema­nuel Pro­wel­ler prouve qu’ignorer la pein­ture, c’est ris­quer de la voir resur­gir où on ne l’attendait pas : dans un espace codé, stra­ti­fié, idéo­lo­gisé, bref, l’espace de la mort. Le res­capé n’a eu cesse de lut­ter contre cette der­nière, il a opté pour l’extase de la vie.

jean-paul gavard-perret

Col­lec­tif, Les nuits et les jours d’Emanuel Pro­wel­ler, Cahier de l’Abbaye Sainte-Croix, Les Sables d’Olonne, 2013.

Leave a Comment

Filed under Beaux livres, Non classé

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>