Comme marcher
image ci-dessus : “Le nuage — Le marcheur”, Hermann Hendrich (1854–1931)
Il y a toujours eu dans mon existence un temps pour marcher. Chaque jour, parfois en forêt, je vais, j’use de la durée en marchant. La promenade se fait aussi en ville, soit pour me déplacer, soit pour accomplir une sorte de moment péripatéticien, si j’ose dire, de pérégrination, en tous les cas construisant en moi du discours. Il y a peut-être une nature, un tempérament plus volontiers de marcheur.
Découvrir la nature, échanger des propos, qui dès lors se font porteur de divers aujourd’hui, de la pensée conçue dans cette sorte de moment en apesanteur que donne la marche, sont les raisons essentielles de la pérégrination. Vagabonder est pour moi une activité plurivoque.
La randonnée est constituée d’un double mouvement, celui de partir et celui de revenir. Quand j’arpente Paris, ce sont les heures d’arrivée et de départ du train qui importent. La limite devient donc celle des horaires de mon voyage. Ici, le long de la Glane, ce mouvement binaire s’effectue de ma porte à ma porte. Je déambule sachant que le retour marquera soit une séance de travail, soit la nuit et les dernières visions poétiques de ma journée.
Mais toutes ces formes de déplacement, à la ville ou à la campagne, peuvent s’assimiler aux dérives subjectivistes des surréalistes ou à celles des situationnistes, qui me permettent un peu de paix, et cet effet très net de boucle, de porte à porte, de train à train, de la gare jusqu’à une autre gare.
En géométrie, ces divagations sur les chemins et dans les rues, le long des ruisseaux ou des canaux, pourraient se présenter comme un cercle et une droite, ou plutôt deux droites et un cercle, ou encore comme une ligne cassée et un point, un point d’attache, des lignes coniques, plan et cône. À tout cela, j’ajoute la peur de me perdre. Car en somme, j’aime peu les routes incertaines — et de cette manière je me différencie sans doute des dérives aléatoires de l’internationale lettriste — et la promenade hasardeuse ne me va pas.
À Paris, évidemment à cause des heures de mon train. Et ici, récemment, à cause de l’obligation dérogatoire imposée par la crise sanitaire, dont nous sortons peu à peu. J’ai besoin d’une démarche contrainte, de l’aspect circulaire de ce qui se dérobe et de ce que j’acquiers, de l’impression vague et haute d’une atmosphère qui se dilate et se rétracte.
J’ai goût de me livrer puis de me dérober aux conjonctures. Et au retour de cette perambulation d’aujourd’hui où j’ai passé une heure, rigoureusement 60 minutes, je reviens comme déjà attendant la prochaine demi-heure de divagation corsetée de philosophie péripatéticienne, legs des Anciens.
Didier Ayres