Dans l’espace, personne ne vous entend crier
Michel Chion spécialiste de son au cinéma fait “entendre” la science-fiction selon le sous-genre cinématographique qui lui revient : celui du “Space Opera” qui est censé figurer le futur surtout à partir des années 50.
De films sans grand intérêt l’auteur renouvelle donc — et au moins — l’écoute de manière originale et intelligente.
Le son dans ces oeuvres est forcément capital pour habiller l’illusion : sons électroniques oscillants ou continus dans les premiers films B, bande-son de Ligetti chez Kubrick ou paradoxalement celle bien plus terrestre, folk, de Hank Williams dans Gravity — preuve que ce sous genre évolue.
A l’origine, visite et invasion de soucoupes volantes sont identifiées autant de manière sonore que visuelle. Pour les figurer, le son est soumis à un futurisme qui fait parfois sourire mais où néanmoins apparaissent des atonalités, des dissonances, des chromatismes hors de leurs gonds dans leur continuum pour “dessiner” les astronefs.
L’espace intergalactique est souvent atonal pour symboliser l’espace non gravitationnel. Dans les films américains ou soviétiques de zone B ou encore japonais comme Vivre dans la peur un vieil instrument comme la scie musicale a autant sa place que les ondes martenot pour dépasser le terrestre.
Le son (avec Tim Burton par exemple mais il n’est pas le seul) devient parfois une arme. Il est évocateur de puissance selon un mythe vivace de la vibration. Elle devient sensation et autre chose de plus ou moins confus. Mais dans 2001 odyssée de l’espace de Kubrick, les trémolos de violon et de musique symphonique puis son Beau Danube Bleu (presque ironique en une telle séquence) sont le signe que souvent le space opera reste le lieu du silence et du calme.
D’où cette vapeur sonore et musicale qui veut souligner le silence et creuser le gouffre entre ce que l’on entend et ce que l’on voit.
Souvent en effet le space-opera ritualise le silence. Kubrick en instaure les règles sonores entre harmonie et silence. Jusqu’à ce que Star Wars de Lucas grâce au Dolby instaure une cacophonie organisée de manière symphoniques par John William. Le réalisateur a laissé tombé la question du réalisme spatial et de l’histoire humaine par un son créateur d’un épique populaire que Star Trek reprendra en ses déclinaisons et dans le genre cérémoniel.
Mais, comme le rappelle Chion, le son en de tels films possède un rôle capital afin de créer un inconfort volontaire, des perturbations angoissantes là où au réalisme narratif fait place un vérisme du son (dans Alien de Ridley Scott par exemple et la musique de John Goldsmith). Et ce, jusque dans un rappel plus que symbolique de l’organique et du sexuel dans Interstellar de Nolan : la musique de Hans Zimmer, par l’utilisation de la dominante (référence d’une note tonique repérable) en lieu et place de l’atonalisme, campe les situations narratives et souligne l’harmonie des sphères.
Le son dans les films de space-opera fait voir — Chion parle de “rendu” — le froid, le chaud, la force, la vitesse hors de tout supposé réalisme. Si bien que le critique arrive parfois à nous faire regretter des films que nous n’avons pas vus faute d’intérêt pour les Aliens et leurs “révolutions” cosmiques et les mouvements parfois désastreux des astres.
Avec Interstellar et Gravity il est vrai que le space-opera change de voie : il y a là attachement au tellurique et présence de sons humains dans l’espace à mesure qu’on s’éloigne de la Terre.
jean-paul gavard-perret
Michel Chion, Des sons dans l’espace — À l’écoute du space opera, Capricci Editions, Paris, 2020.