Deux documentaires dont un réalisé par John Huston en 1946 pour évoquer les relations entre le Pentagone et le monde du cinéma
Le film documentaire Opération Hollywood d’Emilio Pacull, ancien assistant de François Truffaut et de Costa Gavras — excusez du peu — met en lumière un homme de l’ombre : Philip Strub. Filmé en contreplongée, une horloge en arrière-plan, cet homme préfère qu’on ne parle pas trop de lui. Responsable des relations du Pentagone avec Hollywood, il préfère rester en retrait. Son acolyte, le major J. Todd Breasseale, basé à Hollywood, sélectionne les scénarios et les lui envoie. Ces deux hommes incarnent ce qui intéresse les auteurs du documentaire : les liens entre le Pentagone et Hollywood.
Le film rend compte de la complexité de ces liens. Depuis au moins 1927 (avec le film Wings) le cinéma soutient l’armée américaine. Mais les relations n’ont pas toujours été roses. À la fois selon les époques — Ah ! les dures années 70 et leur guerre du Vietnam, mauvaises pour l’image de l’armée américaine - et selon les réalisateurs : si Tony Scott a semble-t-il été un bon soldat avec son Top Gun, on ne peut pas en dire autant de Francis Ford Coppola, ni d’Edward Zwick qui n’a pu obtenir la collaboration de l’armée pour tourner The siege, film d’anticipation de 1998 montrant New York en état de siège après un attentat.
Formellement, le documentaire est de facture plutôt classique ; il présente dans l’ordre chronologique des extraits de films de guerre, entrecoupés par des analyses et des commentaires de différents intervenants : réalisateurs, journalistes, avocats… Du point de vue du casting, nos deux protagonistes du Pentagone déjà cités tiennent le haut du pavé.
Sur le fond, le film coécrit par Maurice Ronai de l’EHESS, est clair : il n’existe pas de complot, ni de rapport de soumission entre les mondes du cinéma américain et cette institution multiforme qu’est le Pentagone ; juste des collaborations ponctuelles. Mais, plus insidieux sur la forme, le film joue sur les pressions indirectes, sur les commentaires pour mettre en garde contre l’influence du Pentagone, mettant en lumière certains arguments : l’armée américaine est payée et issue du peuple, alors pourquoi devrait-elle limiter son aide uniquement aux films qu’elle estime être en sa faveur ? N’est-ce pas une manière indirecte d’atteindre à la liberté d’expression ? Si le Pentagone ne peut censurer directement un film, ni empêcher sa sortie, il peut toutefois jouer sur sa capacité à fournir matériel, aide technique et informations. Le major J. Todd Breasseale est présent sur les plateaux de tournage, en tant que conseiller technique. À quel point cette présence est-elle uniquement technique ? Souvent, le Pentagone demande des retouches aux scénarios, à un épisode de Lassie par exemple… Se pose donc la question du pouvoir d’influence de l’armée sur les images. Des images qui font le tour du monde. Le film est, formellement, un appel à la vigilance démocratique et critique ; cette vigilance nous concerne.
Ultime cerise sur le gâteau (du Pentagone), en complément du DVD, on peut voir un magnifique documentaire de John Huston lui-même : Let there be light. Commandé par l’armée américaine au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, il n’a jamais été rendu public avant 1980. Au départ il devait être un simple film de propagande censé montrer comment l’armée parvenait à réinsérer des traumatisés de guerre. Il est devenu une véritable étude clinique des ravages de la guerre. John Huston filme la guerre la plus violente, celle qui s’est inscrite dans l’inconscient de ces soldats qui ne peuvent plus parler, dormir, manger ou marcher. La condition humaine en temps de guerre, filmée hors la guerre, après la guerre, devient plus réelle que jamais. On était si loin alors des avions de Top Gun que l’armée a préféré garder le film au chaud…
Si le film-titre du DVD est marqué par un engagement critique et honnête, son complément, éternel, dépasse les points de vue partisans pour devenir une petite merveille. La réunion de ces deux films fait de ce DVD un objet unique, pertinent et instructif, comme une pièce à deux facettes.
Hollywood Pentagone
Opération Holywood
Documentaire réalisé par Emilio Pacull (2004)
Coécrit par Emilio Pacull et Maurice Ronai - Une coproduction Les Films d’Ici / ARTE France
Durée : 90 mn
Let There Be Light
Documentaire réalisé par John Huston (1946)
Durée : 55 mn
NB - Dans le prolongement de ce “Dossier”, on pourra visiter sur le site d’Arte — la chaîne qui a diffusé Opération Holywood - la page suivante, où l’on vous propose rien moins que de tenter votre chance à Hollywood, pour peu que votre scénario de film sache faire les yeux doux au Pentagone…
camille aranyossy
Hollywood Pentagone, éditions Montparnasse vidéo, DVD PAL Zone 2, 16/9e compatible 4/3, langue : français stéréo, octobre 2007 — 20,00 €.